samedi 17 janvier 2015

6 décembre - 17 janvier

06 décembre

L'ennui ne nous brûle pas mais il nous fait souffrir. C'est une souffrance plate et blanche, silencieuse et suffocante. J'ai le sentiment que je cherche à souffrir pour étouffer cette autre souffrance qu'est l'ennui.

Les filles s'ennuient trop souvent au milieu de la prétention des garçons. Patientes, elles y installent leur petit lit et, songeuses, attendent que cela passe.

Le bonheur n'est pas la promesse du bonheur. Un bonheur possède en lui-même son propre germe addictif : on se fiche d'en avoir déjà, ce qui nous intéresse c'est d'en avoir encore. On reste pendus à ce encore, qui nous détourne du maintenant. C'est pour ça que nous pouvons en vouloir à ceux qui nous quittent, ils n'ont pas tenu la promesse inhérente à ce qu'ils nous donnaient : la promesse qu'il continuerait de nous donner, encore et encore.

Lors d'une soirée, une amie de J. qui a lu mon blog, me demande, curieuse : "mais c'est quoi ta conception de l'amour ?" qui résonne comme un "mais c'est quoi ton problème au juste ?"

8 décembre

Très malade à cause de je ne sais quoi (sûrement d'un truc pas net pris vendredi soir). Alitée pendant plus de 24 heures, dormi presque autant. Il n'en faut pas plus pour se sentir loin du monde, loin de tout, ressentir une sorte de nostalgie de l'air extérieur, de la rue, du métro. J'attends que la maladie passe, et avec elle la tristesse.


9 décembre

Ma petite vie dans ma chambre (ce que j'ai ardemment souhaité pendant des années) me paraît si naturelle qu'il me semble avoir toujours été dans cet état mental. J'ai toujours été mentalement seule dans ma petite chambre. J'aimerais pouvoir éprouver plus intensément cette liberté, en faire un cadeau de chaque instant, mais je me rends compte que cet état est trop naturel pour être célébré. Parfois en montant les escaliers de l'appartement où j'habite il m'arrive d'être prise de vertige, de trouver cela insensé. Comme si je me dédoublais : c'est bien moi qui monte cet escalier, qui m'achemine vers ma chambre où sont rangées mes affaires, ceci est mon trousseau de clé où cohabitent ensemble les clés de l'appartement familial et celui de la colocation. Je peux loger dans deux endroits différents.

Vers les 17 heures je pars m'acheter des cigarettes. L'homme devant moi achète une cartouche, il en a pour 65 euros, cela me déculpabilise totalement des 6,90€ que je vais débourser. Il met la cartouche dans son grand sac de courses où se trouvent déjà ses achats précédents : des journaux, une baguette, de la nourriture. Il va rentrer chez lui, il sera autosuffisant, il pourra ne plus ressortir avant longtemps, sa cartouche sera dans un tiroir, elle se consumera lentement. Il achète des cigarettes comme on achète du papier toilette - un truc de vieux film français, l'évidence des cigarettes qui accompagne les courses quotidiennes. Cette vision m'est excessivement rassurante, elle m'apaise plus qu'elle ne le devrait. Je retrouve un peu d'énergie.

23 décembre

4 jours que je n'ai vu personne, du moins pas de mon plein gré. Parfois l'envie me démange d'écrire à des amis et puis je résiste, j'essaye de me tenir, je me dis qu'il faut aller au bout de la solitude et arrêter de parler pour un moment, arrêter de flirter, arrêter de vouloir flirter, mais se mettre au travail. Vivre ce qui s'apparente à une misère, retrouver dans la rue et les cafés, une forme de vulnérabilité, de sauvagerie à force de se tenir prostrée en soi-même. C'est très sain, salvateur, même si ça fait mal. Et en même temps c'est très facile d'être seul, du moins on n'est vite très seul, on ne peut pas faire des stocks de compagnie ou de sociabilité. Après quatre jours, je me trouve un peu folle et totalement désespérée, puis par moments, des accès d'euphorie, après un travail accompli ou devant des conneries à la télé. Je me ressource quelque part, en n'allant pas plus loin qu'en moi-même, en ne sortant pas de mon périmètre, en ne traduisant rien de mes pensées. Rien pour autrui et tout pour moi. Au bout d'un moment, ça devient comme du vélo, les premiers jours sont un peu chaotiques puis on finit par trouver la bonne vitesse, ni trop lente ni trop rapide, juste ce qu'il faut pour ne pas tomber par terre. Quel est mon état normal quand tout autour, tout est calme ? Je vois beaucoup de films, je dors très tard, je regarde la télé tard, j'entreprends mille choses, mille textes à faire qui se bousculent dans ma tête, au bout d'un moment mes ambitions me torturent, me font mal, ça me tord les boyaux et j'accomplis un peu de ceci ou de cela, pour me vider, mais déjà d'autres ambitions se reforment, des projets fous, et j'ai tout le loisir d'y penser.

28 décembre

Ce n'est pas moi qui broie du noir, c'est ma dépression qui me rumine, me triture entre ces mains.

4 janvier

Leur amitié est belle, quoiqu'un peu immature parce que narcissique. Un narcissisme de bande, qui se raconte à elle-même sa propre mythologie, mais ça reste beau à voir. Je retrouve quand même une donnée fondamentale de mon rapport aux gens de mon âge : une forme d'agressivité

17 janvier

La plupart du temps je subviens à mes besoins sans saut qualitatif. La plupart du temps je ne fais qu'épuiser des ressources, mon existence se passe dans un gaspillage paisible et normal, dans la consommation. L'écriture a toujours été pour moi l'unique façon de me soustraire à cette consommation qu'est l'existence, de suspendre ce banal épuisement de ressource pour atteindre à une sphère plus noble. Je vais beaucoup au café et je sais que c'est le signe que je deviens totalement irresponsable, totalement perdue.
Je culpabilise de vivre et de jouir, mais je vis et je jouis beaucoup. Ma paix intérieure, quoique souvent dépressive, me fait frémir tant j'ai l'impression de ne pas la mériter. Je mériterai le surmenage, l'harassement, je mérite de comprendre ce que c'est que la vie : quelque chose de dur, d'aride, et non pas quelque chose de compliqué. Je mange, je fume, je bois, je dépense, la pire des choses et la plus voluptueuse, celle qui me laisse hébétée et pleine de questionnements se trouve être le plaisir sexuel. Parce que la jouissance sexuelle est une illusion que l'on démonte mais qui se reforme sans cesse. La jouissance sexuelle devrait pouvoir arrêter de nous travailler dès lors qu'on la démonte une fois. C'est la pire dans cette façon qu'elle a de reprendre sa forme originelle après avoir été déconstruite. On pense avidemment que les choses, l'existence, la dépression et une forme de solitude très banale pourront se régler par elle et nous savons pertinemment qu'au final elle ne règle rien. Elle ne règle rien parce que nous lui demandons de nous offrir une tonalité existentielle, quelque chose que nous pourrons porter en nous au-delà de l'étreinte, or le sexe a ceci de désarmant qu'il est effroyablement restreint à sa seule ponctualité, au seul temps de l'étreinte. C'est quelque chose de bref, d'incroyablement non-diffus, aux contours bien arrêtés.