Suite de la correspondance avec Michel Houellebecq
De moi
à MH
le 12/09/2008
Cher Michel,
Je vous demande pardon, j'imagine que vous êtes
resté courtois en apparence mais qu'en réalité vous m'en voulez
énormément et que vous n'auriez pas hésiter à me foutre quelques baffes
J'ignore comment vous êtes tombé sur le forum, ça n'a d'ailleurs que peu
d'importance, et je me suis vite rendue compte de la faute que j'avais
commise, j'ai dû écrire au modérateur pour qu'il supprime toute trace
d'un sujet bien précis et qui m'avait fait copié/collé sous l'emprise de
l'émotion votre réponse à mon mail.
Je crois que tout ceci demande quelques explications, peut-être que vous
n'en avez pas besoin mais je pense qu'elles m'apaiseront,
Deux choses,
premièrement, j'ai
n'ai aucun égard pour ma vie privée, j'en ai toujours énormément étalé
sur mon compte dans la ribambelle de blogs que j'ai tenu tout au long de
mon adolescence. Quand j'ai commencé à écrire vers mes 12 ans, il n'y
avait pas encore ce réflexe de taper le nom d'une personne sur Google
pour trouver quelque chose qui pourrait nous renseigner sur elle, tout
restait assez confidentiel, et puis je n'avais que peu de lecteurs, j'ai
donc évolué dans ce monde silencieux où il me suffisait d'exposer ma
vie avec le plus de véracité pour plaire aux gens, n'ayant jamais que
peu de réactions de mes lecteurs je continuais et continue tête baissée.
C'est avec ce fonctionnement que j'ai pu me faire des amis âgés et
aussi quelques petits copains. Vous comprenez alors pourquoi je n'avais
aucune raison de changer de formule.
Je pense avoir le défaut d'appliquer cette méprise de mon intimité qui
me caractérise à toute personne que je cite, croyant agir normalement
quand il s'agit de trancher entre écrire son vrai nom ou en extraire
seulement les initiales. Cela m'a valu quelques problèmes plus ou moins
graves. D'ailleurs le plus souvent le problème se trouvait dans les
propos que je tenais à l'égard de cette personne et qu'elle ne
soupçonnait pas plutôt qu'au non respect de son intimité. J'ai toujours
fait passé le désir d'écrire une belle phrase avant tout, peu importe si
cela impliquait quelques petits risques, avant je pouvais m'en vanter,
je passais pour une esthète obsessionnelle, maintenant je me trouve
juste mesquine et je prends conscience de ce défaut.
Mais ne vous faites pas de souci, je n'ai pas une seule fois mentionné
notre petite correspondance sur mon blog actuel pour les mêmes raisons
qui m'ont poussée à supprimer tout ce que j'avais dit sur le forum de
Technikart, et puis vous savez, j'ai lu votre interview dans GQ, quand
vous parliez de l'indiscrétion que vous ne supportiez plus, ça m'a mis
la puce à l'oreille et je souhaitais de tout mon coeur que vous ne
tombiez pas sur le forum.
Deuxièmement, je pense ne pas vraiment mesurer l'étendue de votre
célébrité, et cela pose problème justement parce que dans ma tête
vous restez toujours cet auteur confidentiel que je lisais dans le
métro, , alors quand je me conduis de manière si inconséquente envers
vous je ne mesure pas du tout les risques, je ne prends pas en
compte les imprévus, la curiosité des gens, le hasard, vos
détracteurs, votre curiosité à vous, les possibilités
d'indiscrétion qu'offre internet.
J'ajouterai juste qu'il n'a jamais été question dans mes intentions
d'entamer quoique ce soit de sexuel avec vous, je vous respecte trop
pour ça, vous parler est déjà pas mal. Non, pour être tout à fait
honnête et même si ça peut paraître un peu désespéré, j'espérais devenir
votre pote, une complice. Voilà ce que se permettait d'imaginer mon
esprit dans ses grandes heures d'emportement.
Je ne veux pas être plus longue, votre mail m'a un peu déprimée, j'ai
bien compris ce qu'il fallait que je lise entre les lignes, je vais
essayer de penser à autre chose, veuillez encore une dernière fois me
pardonner.
Je sais bien que tout ceci compromettra fortement l'idée d'une rencontre
comme l'avenir de notre correspondance, y mettra même un terme, je
l'imagine bien.
Je vous embrasse.
De MH
à moi
le 22/09/2008
Murielle,
La seule chose vraiment déprimante, en réalité, dans votre mail, c'est
l'idée d'une incompatibiité entre "respect éprouvé pour quelqu'un" et
"quelque chose de sexuel". Je me rends compte, à cette occasion, que ma
vision de la sexualité n'est décidément pas si négative.
Je suis en effet très célèbre et très détesté, par l'immense majorité
des médias. Avant, moi non plus, je ne prêtais aucune attention au
respect de ma vie privée ; c'est depuis qu'elle a commencé a être
sérieusement piétinée, il y a quelques années, que je me suis mis à
glisser inéluctablement vers des symptômes pénibles (paranoïa,
agoraphobie...)
Vous n'y pouvez évidemment rien, il faut juste en tenir compte.
On se verra quand même, mais peut-être pas tout de suite (d'autant que
mon emploi du temps est en train de s'aggraver sensiblement).
Je vous embrasse,
Michel.
De moi
à MH
le 22/09/2008
Michel,
"Peut-être pas tout de suite", je comprends, je lis
un peu les sites littéraires et il y a votre livre. "Ennemis Publics", à
ce que j'en lis vous êtes au centre d'un important évènement littéraire
même si le fait qu'il soit littéraire réduit considérablement les
effets de l'évènement. J'ai énormément de choses à lire pour l'école,
les livres pour la matière "Littérature", je n'en ai même pas fini un,
j'en suis encore aux Liaisons Dangereuses. Je sais pas pourquoi, quand
il y a des livres à lire pour l'école ça me bloque, les livres n'ont
presque plus d'intérêt à mes yeux. Parallèlement à ça je relis vos
livres, là j'en suis à Lanzarote, on y trouve énormément de similitudes
avec la Possibilité.
"La sexualité est une puissance majeure, à tel point que toute
relation qui s'y refuse a quelque chose d'incomplet. Il y a une barrière
des comme, tout comme il y a une barrière des langues.", j'en suis à là, cette phrase est marquante et résume assez bien votre vision de la sexualité.
Tout ça pour vous dire que malgré toutes ces lectures j'achèterai le 8
octobre même votre livre, ça sera mon Harry Potter à moi, avec la même
attente, la même appréhension. Même si je n'ai rien lu de Bernard
Henry-Lévi, que tout autour de moi me pousse à le détester, la lecture
d'Ennemis Publics sera une de mes priorités et je peux vous dire que
tout le "buzz" qu'il y a autour a beaucoup d'effets sur moi, je suis
super pressée, on dirait une débile.
Sur les sites où circule la nouvelle de votre livre il y a beaucoup de
commentaires haineux, principalement à l'intention de Bernard Henri-Lévy
et puis un peu plus bêtement, à l'intention de vous, certains
considèrent ce livre comme la réunion de deux impostures, un coup de
marketing, ce dernier point on peut difficilement le nier. Un dernier
truc, ce livre vous place au centre de "toutes" les préoccupations et
j'ai l'impression un peu bizarre qu'il vous éloigne de ce que vous êtes
vraiment, vous n'êtes pas quelqu'un de bruyant, d'envahisseur, comme
l'est la controverse qui entoure "Ennemis Publics", et comme le sont
d'ailleurs toutes les controverses qui encerclent tout ce que vous
faites, les gens devraient se calmer.
Je vous laisse, il est 15 heures, j'ai séché le sport pour pouvoir faire
ce que je veux de mon après-midi, rattraper mon retard dans mes
lectures, travailler la philo, aller au cinéma (il y a "Entre les murs"
en avant-première à la Défense) et vous écrire.
Je vous embrasse bien fort, bon courage pour votre livre, je vous en parlerai.
de MH
à moi
le 24/09/2008
Murielle,
Oui, je comprends, tout, moi aussi, m'aurait poussé à détester Bernard-Henri Lévy ; et pourtant il est très sympathique.
C'est à force d'être haï (car beaucoup de gens me haïssent vraiment,
vous savez, et voudraient me détruire) que j'en suis venu à penser à
lui, comme interlocuteur, parce que je savais qu'il était dans le même
cas.
Nous vivons dans une société étrange, quand même, où la réputation des individus est presque toujours fausse.
Je vous embrasse,
Michel.
De moi
à MH
le 4/10/2008
Cher Michel Houellebecq,
me revoici,
sachez tout d'abord que je ne viens jamais vous parler quand je
n'ai qu'une chose à vous dire, mais plusieurs, sinon après cela fait
trop, c'est pour cette raison que mes mails sont longs, car en fait il
s'agit de toute une succession de mails collés les uns aux autres et
vous ne recevez ça qu'en une seule fois, ce qui fait que ça donne
l'impression que je vous écris rarement.
Bien, aujourd'hui je ne compte pas trop parler de moi mais bien de
vous, de vous à Europe 1, de vous en livre, de vous dans la bouche de
mon professeur d'histoire géo.
D'abord Europe 1, je suis tombée
un peu par hasard sur votre interview chez Marc-Olivier Fogiel, je suis
inscrite aux flus RSS du site Fluctuat.net qui parlait de votre passage à
Europe1, je l'ai enregistré pour toujours l'avoir sur mon
ordinateur et je l'ai regardé. D'abord j'aimerais vous dire que je ne
n'éprouve aucune haine à l'encontre de Fogiel, j'aime ces présentateurs
bon public et sans aucune prétention intellectuelle, qui arrive à vous
faire passer une biographie de Françoise Dolto écrite par Daniela
Lumbroso pour quelque chose de très spécialisé. Je dis ça sans ironie,
je crois que ces talk-show me font du bien, que ce soit Laurent Ruquier,
Fogiel ou comme avant Ardisson, je ne ratais aucune émission
d'Ardisson, c'était vraiment idéal, ça finissait tard dans la nuit, sans
sortir on arrivait à s'amuser. Vraiment parfait.
Donc Fogiel ne me dérange pas, il est le seul à pouvoir s'autoriser les
questions indiscrètes, on lui pardonne tout comme on pardonnerait à un
enfant et vraiment Michel, je vous le dis sans exagération, votre
entretien avec lui était incroyable. Je pense que de l'avoir vu en vidéo
y est pour quelque chose, je veux dire, les visages que vous prenez,
vos regards dans le vide quand Fogiel vous pose une question, votre
timidité (peut-être je me trompe) du tout début à l'idée d'être à
l'antenne, votre sourire gêné à la fin quand vous annoncez que vous ne
voulez pas rester, alors ce moment je l'ai bien regardé six fois. Il est
incroyablement révélateur de quelque chose : vous jouez avec vos petits
cheveux en disant "oh non...non..........je ne suis pas encore très
sociable", et vous esquissez le plus beau sourire de l'année, timide,
vulnérable, innocent, ça ne peut être que de l'innocence, je vous assure
Michel, peut-être que vous la sentez en vous, en tout cas je vous le
confirme : vous avez une part d'innocence assez importante, quelque
chose de magnifique qui nous scotche tous, on sent que l'on doit vous
approcher très doucement, ne pas trop vous serrez dans nos mains,
vous êtes un petit oiseau.
Ce moment de gêne m'a assez bouleversé, je l'ai même montré à ma soeur
parce que je sais que je ne pourrais pas lui faire lire vos livres
tellement elle déteste ça, la lecture, mais je peux toujours la
convaincre par d'autres moyens que votre écriture que vous êtes
quelqu'un de bien et c'est un peu ça mon but, faire votre pub un peu
partout autour de moi, parler de vous autant que je peux. Rien
qu'aujourd'hui j'ai encore offert un exemplaire d'"Extension du domaine
de la lutte" à une de mes amies de lycée pour son anniversaire, ça et un
Roth puis un Cioran, des choses qu'elle n'achètera jamais elle qui aime
Perec (je déteste Perec), et très souvent pendant nos déjeuners entre
amies je leurs parle de vous, surtout en ce moment à cause de votre
grande actualité. Une de mes autres amies filles compte relire Extension
que je lui avais aussi offert pour son anniversaire, elle ne s'en
souvient pas très bien, je vais lui prêter le film et lui envoyer la
vidéo d'Europe1.
J'ai oublié de vous dire que ma soeur a demandé à revoir plusieurs fois
la fin de votre entretien chez Fogiel, elle était stupéfaite, après
c'est toujours son manque de curiosité qui me dégoûte un peu. Le fait
qu'elle vous trouve incroyable et qu'elle n'ait pas envie de feuilleter
vos livres à sa disposition dans ma petite bibliothèque.
Concernant ce que vous dites dans l'entretien, c'est toujours très
émouvant de recevoir aussi directement de vos nouvelles, vous parlez de
façon toujours aussi juste, votre parole est très posée, importante et
libre, et puis il y a ce Fogiel qui semble pressé comme toujours, il
regarde un peu partout comme un con mais il arrive à vous faire dire de
bonnes choses et j'ai aussi découvert que j'aimais énormément votre
voix, là encore l'innocence y est pour quelque chose.
Sur votre film on ne peut qu'être d'accord, un film qu'on considère
comme un "nanar" n'a jamais enduré ce que la Possibilité a dû endurer,
on ne s'énerve pas contre un film raté, on l'accueille avec mépris et
bienveillance, on en rigole un peu et on passe au prochain James Bond,
autant de virulence est injustifiée. Il faut vraiment se mettre en tête
que seul compte vos lecteurs et le rapport intime qu'ils ont avec vos
livres et votre oeuvre en général, c'est quelque chose de très doux
et c'est cette mémoire qui restera. La critique n'a jamais survécu à
rien.
Vous parlez aussi de votre santé, de la cigarette, je sais qu'on en
avait un peu parlé, ça m'a rendue triste, il suffit de voir des photos
de vous pour se rendre compte que vous aimez fumer, que cela vous donne
énormément de charme comme sur la couverture d'Ennemis Publics (oui,
très belle photo) et vous n'êtes pas une personne qui mérite qu'on la
prive d'une chose qu'elle aime. Fumer et boire des cafés, c'est déjà des
plaisirs assez modestes comme ça pour ne pas qu'on vous les ôte. Mais
faites attention, il n'est pas question que vous mourrez, la santé reste
à l'origine de la création et vous êtes encore jeune. J'ai été
stupéfaite de me rendre compte que vous n'aviez que 50 ans, "il est plus
jeune que mon père" voilà ce que je me dis.
Alors sinon, aujourd'hui j'ai acheté "Ennemis Publics", je
commençais à 10h, il a juste fallu que je sorte plus tôt de chez moi
pour aller sillonner les rayons des deux Virgin qui se trouvent à la
Défense. Et vous savez quoi? Je ne vous ai pas trouvé, et c'était très
irritant, surtout que j'étais pressée et que la Fnac n'était pas encore
ouverte. J'ai fini par entrer dans un Relay qui vend aussi des livres,
surtout des best-sellers, des trucs d'actualité, et des polars en fait,
et là je vous ai trouvé et j'ai souri comme si je venais de retrouver
quelque chose que j'avais perdu.
Je suis allée en cours avec le livre entre les mains, j'ai montré le
livre a mes copines qui en plaisantant m'ont dit que j'étais "folle"
mais quand même deux d'entre elles tiennent à ce que je leurs prête le
livre, quelque chose de ma propagande houellebecquiste a donc réussi.
Une fille de ma classe qui fait un peu dame m'a demandé "hé Murielle,
alors on l'a retrouvé Houellebecq? Parce qu'à un moment il avait
disparu", je n'ai pas très bien compris mais je lui ai répondu "ouais
enfin il était en Irlande mais là il est en France pour la promo", puis
elle d'ajouter que vous et BHL essayiez trop de faire intellectuels et
qu'elle vous détestait. Bien sûr elle n'avait rien lu de vous, bien sûr
je lui ai répondu avec tendresse comme quoi vous étiez un très bon
écrivain mais que BHL sans trop le connaître, avec ses chemises et tout
ça, c'est vrai qu'il se la pétait un peu.
Voilà pour la matinée,
un peu plus tard dans la journée la tranche d'"Ennemis
Publics" était visible par un coup d'oeil au-dessus de mon sac, en cours
d'histoire géo je suis assise devant parce que j'éprouve des sentiments
pour mon prof et que je souhaite être le plus proche de lui
possible. ll était posté devant ma table, il s'appuyait même à elle et
je ne sais pas comment mais il était juste au-dessus du livre. Je l'ai
regardé et il m'a juste demandé "vous me le prêterez?" j'ai regardé vers
mon sac pour comprendre qu'il parlait du livre, il ajouta "parce que je
suis fan de Houellebecq, je le considère comme le plus grand écrivain
français", et moi de répondre "oh moi aussi", puis "en échange je vous
prêterai un collector, c'est un coffret avec un hors-série", "ah le truc
des Inrockuptibles?", "ouais", "je l'ai déjà", "et bah alors respect,
maximum respect." Bien évidemment la classe nous écoutait pendant ses 10
secondes, c'était assez jouissif.
Le sujet s'est clos soudainement mais je peux vous dire que plus rien ne
sera comme avant, nous avions déjà réussi à communiquer sur notre goût
pour John Fante, disons que j'en avais lu sans vraiment trop aimer mais
le seul fait de les avoir lu lui a suffit à me dire "respect". Remarquez
qu'il ne me dit que "respect", et qu'il reste très distant malgré nos
nombreux points communs : cet amour pour la littérature américaine, et
puis celui qu'on partage pour votre oeuvre et qui nous a fait acheté ce
hors-série qu'il me vendait comme "collector". C'est très dur de devoir
se dire que dans moins d'un an il ne sera plus question de le voir,
qu'il finira en souvenir douloureux d'une époque où j'entrais en cours
avec un poids au ventre. De jour en jour il arrive à se rendre de plus
en plus aimable et moi de plus en plus admirative, ça me fait mal au
coeur mais c'est ainsi, ma vie est constellée de ce genre de
déchirement. Je sais qu'il me manquera.
Il avait déjà fait une allusion à vous lors d'un cours précédent
tout au début de l'année, il cherchait ses mots pour continuer une
phrase qui se terminait par "la possibilité", il disait "la
possibilité...non pas d'une île mais..." après je ne m'en souviens plus
mais j'ai alors eu un léger sursaut.
Bien sûr j'ignore pourquoi je vous raconte des choses aussi
insignifiantes mais si je me mets à votre place je crois que j'aurai
aimé être au courant des moindres détails de mon succès, apprendre qu'il
s'étend là où on ne l'attend pas, dans une classe de terminale
littéraire, dans des couloirs de lycée, j'aimerais que cela vous touche,
le fait qu'une élève prête un de vos livres à son prof, qu'ils en
parlent avec cette admiration qu'ils portent en eux, maladroitement
parce que les discussions prof/élève doivent aller vite car il y a un
cours à poursuivre, et qu'après le cours un autre arrive, puis ensuite
il faut partir dans sa maison.
Je viens de finir Le Guépard de Lampedusa, c'était pour l'école,
maintenant je dois lire Roméo et Juliette mais j'en ai rien à foutre des
lectures obligatoires, j'ai énormément de travail et plus de temps pour
rien, ni le cinéma, ni la musique, ni mes lectures personnelles,
Hemingway et Rousseau qui m'attendent depuis beaucoup trop
longtemps. Mais il a d'abord ce désir de lire encore vos lignes, cette
fois des récentes datant de 2008, et puis cet autre désir de vous prêter
à mon professeur avant qu'il ne vous achète, peut-être cela
relancera-t-il la conversation. Le peu que j'ai lu du livre, les
extraits trouvés sur le site de BibliObs présagent énormément de bonnes
choses, c'était prévisible, l'épistolaire bouleverse et perfectionne
quelque chose dans la manière de pensée et la façon d'écrire, j'en suis
persuadée.
J'imagine que vous ne me lirez pas avant longtemps, et puis j'ai
toujours la crainte que vous ne lisiez pas en entier mes mails parce que
vous rebondissez rarement sur ce que je dis, mais ne vous justifiez de
rien, c'est juste une crainte née de rien, je ne pense pas que vous
soyez comme ça, si peu attentif à ce qu'on vous raconte.
Je vous embrasse et vous promets de ne vous écrire qu'après avoir fini Ennemis Publics,
Murielle.
De MH
à moi
le 07/10/2008
Chère Murielle,
Ca me rappelle quelque chose, j'avais recueilli un oiseau blessé mais je
n'ai pas réussi à le sauver, le soir il est mort et j'étais en larmes
et mon père m'a dit : "Eh ben mon pauvre garçon, si ça suffit à te
mettre dans des états pareils, t'es mal parti dans la vie".
Je ne crois qu'il ne faut plus que je vous écrive pour l'instant parce
que je n'ai plus le temps de vous voir avant mon départ, mais j'espère
qu'on pourra se voir en mars-avril, par là.
Je vous embrasse,
Michel.
De moi
à MH
le 10/10/2008
e
suis contente d'avoir réussi, avec cette image du petit oiseau, à
approcher quelque chose d'assez juste, ça arrive parfois que sans
vraiment connaître la personne on touche sans le vouloir à des choses
précises de son vécu.
Bon Michel, je vous écris, mais c'est bien parce que j'ai
l'impression que je ne peux pas faire autrement, maintenant que je sais
que je peux m'adresser à vous et que je peux espérer une réponse même
d'une ligne, je n'hésite plus (d'ailleurs cette petite réponse alors que
je vous voyais à la télévision, c'est à dire qu'à mon sens vous étiez
extrêmement occupé, je trouve ça tellement gentil de votre part, merci beaucoup)
Je finis.
Quand on trouve pour interlocuteur son écrivain vivant
préféré il est difficile d'ensuite écrire à quelqu'un d'autre, et puis
j'ai eu des correspondants dans ma jeunesse, des personnes à qui
parler tous les soirs après les cours, l'immense joie d'une réponse, la
tout aussi immense déception d'une absence de réponse.
Avec mon premier vrai petit copain on n'avait jamais cessé de s'écrire,
on approchait les 700 mails pour 9 mois de relation, puis bon, après
quand j'ai mis fin à tout ça il s'est débrouillé pour accéder à ma boîte
mail et tout supprimer.
Maintenant je n'ai personne à qui vraiment parler et ça me
manque, surtout en ce moment. Je me rends compte que mes copines sont
gentilles mais pas très motivées à l'idée de m'écouter et je trouve ça
dramatique, à chaque fois que je parle elles me
renvoient l'impression que j'essaye de faire mon intéressante et je me
débrouille alors pour écourter la tirade. Pourtant j'ai tout les jours
des choses à dire sur ma journée et sur ma vie. Je trouve que j'ai
l'oeil pour remarquer les choses importantes d'une journée, les moments
de grâce quotidiens et qu'il faut en parler, c'est ça qui nous aide. Par
exemple aujourd'hui j'ai vu une dame seule en face de moi dans le métro
à la Défense, elle mangeait une banane et c'était très beau et ça m'a
émue. J'ai besoin d'amitié, d'exister, d'être estimée, de parler
longtemps et librement, de faire des choses après les cours. Je n'ai pas
vraiment l'impression de vivre ma jeunesse, ni de vivre tout court, ma
jeunesse je m'en fiche, je sais que ce n'est pas comme dans les pubs ou
les films ou les romans, ça reste assez plan-plan, mais pas à ce point.
Rentrer chez soi et travailler tout en papotant sur des forums, écrire
sur son blog, projeter de regarder un film ou Taddéi, s'endormir la
bouche ouverte, le vendredi soir au cinéma, le samedi dans Paris, le
dimanche à la maison en pyjama, tout ça tout ça. Quelque chose d'autre
est possible, il suffit de bouger deux trois choses, je le sais.
J'ajouterai que la semaine se passe sans que je fasse quoi que ce soit
avec ma famille, ni sortie, ni repas, ni discussion, aucun échange,
nada. BHL en parle un peu, enfin pour autre chose mais il dit :
"Quand les parents sont là, on n'y pense pas",
moi j'y pense au fait qu'"ils ne sont pas éternels" mais je ne fais rien, ça revient donc au même.
Pour
en finir sur ma vie : je vous l'ai déjà dit, en septembre-décembre le
moral ça va, mais ça se dégrade de mois en mois. Janvier, février, mars,
avril, mai, juin, c'est juste intenable. Pourtant je remarque que
rien dans ma vie, en dehors des saisons, ne varie vraiment entre
septembre et juin, sauf qu'en septembre il y a le désir et le plaisir
d'être embobinée, de vivre dans la douceur et le (ré)confort du
quotidien. J'endosse le rôle de la "jeune lycéenne ambitieuse" et je
mobilise mes forces à essayer de ne pas réfléchir aux sujets
sensibles, et puis en cours même si je m'ennuie je suis heureuse, je
balaye la classe du regard et je me sens bien vivante, je lis dans mon
lit et je me sens à l'abri de pas mal de choses, mais il y a vraiment
des moments où c'est "limite-limite", à la frontière du pétage de câble,
et d'année en année ça devient de plus en plus sérieux, ma conscience
s'aiguise, ma solitude aussi. J'ai l'impression de déjà vivre dans le
souvenir de ma jeunesse.
D'ailleurs, là, ma jeunesse, ça va encore, on m'impose des camarades,
sympathiques, amicaux, bienveillants, farceurs, aux corps projetés
uniquement vers l'avenir, et une famille peu bavarde mais qui donne un
semblant de vie au reste de l'appartement; la rumeur de la télé, la
douche, les lumières allumées, le micro-ondes, l'aspirateur et les
disputes, ça reste de la vie. Mais je sais qu'une fois "dans la vraie
vie" je ne m'en sortirai pas, ce n'est pas possible, et j'ai extrêmement
peur, l'autonomie ce n'est pas que joyeux et j'ai peur de trop
souffrir.
Ce qui m'aide un peu c'est que j'ai le pressant désir de devenir un bon
écrivain mais je n'ai pas les forces qu'il faut pour commencer un roman
ni quoi que ce soit qui ressemblerait à de la fiction. Vous dites une
chose dans "Ennemis Publics" sur votre impossibilité à faire de votre
vie la matière de vos romans (je résume parce que je ne retrouve pas le
passage malgré mes soulignages et mes marques-pages multicolores) et que
des gens y parviennent. Je sais que j'y parviens parce que j'écris et
qu'on me dit "tu écris bien petite" mais je sais que j'aurais préféré
être apte à faire du Houellebecq plutôt que du Angot, parce que ça
montre qu'on ne s'intéresse pas qu'à soi et que ça touche à quelque
chose de beaucoup plus universel. Même si Angot ça peut toucher,
Houellebecq c'est beaucoup mieux. C'est vous qui, l'année dernière,
étiez dans mon manuel de littérature pas Christine.
J'ajouterai que le goût du secret dans lequel doit s'épanouir le
roman me fait aussi défaut, j'ai du mal à ne pas rendre publique
sur-le-champ ce que je viens d'écrire, d'où le fait que je tienne
un blog, mais je n'ai pas envie de vous montrer ce que j'écris, ce n'est
pas comme si vous étiez un éditeur et j'ai peur que vous pensiez que
maintenant j'agis par intérêt, puis par rapport à vous j'ai un peu honte
de ce que j'écris, c'est bizarre, j'ai l'impression de pouvoir dire que
ça ne vous plaira pas, je dis ça très très sincèrement. J'aime comment
vous écrivez mais je n'écris pas comme vous.
Finalement vous aviez raison, quelque chose en vous fait que
les gens viennent vous voir pour vous parler de choses intimes, à votre
place j'aurai plutôt tendance à vouloir qu'on me laisse tranquille, "y'a
les journaux intimes pour ça", des trucs dans le genre.
Avant de vous parler d'Ennemis Publics je voudrais en finir avec mon prof d'histoire géo :
Il a
finalement acheté le livre pendant le week-end, je suis entrée en
classe, il fumait sa clope en bas, il en fume entre chaque cours alors à
chaque fin de cours il est pressé et on doit se dépêcher de sortir.
J'ai vu le livre près de son ordinateur, ça me décevait un peu, ce côté
"chacun son livre", ça nous privait d'une discussion. Bon, mais il y a
plus que ça, il a carrément lu votre première lettre à toute la classe,
la chute très drôle sur le générique de Ratatouille et la
musique électronique, passage qui tend à devenir culte. J'étais très
émue mais la classe, bon, elle attendait son cours sur le modèle
soviétique.
Ennemis Publics :
J'ai fini le livre ce matin dans le métro, entre deux stations. Ma
première impression, là, comme ça, en fermant le livre, c'est que bon,
forcément un de vous deux en sort plus gagnant que l'autre et que ce
"gagnant", c'est bien vous.
BHL je ne le connaissais donc pas et puis cette correspondance nous
livre à peu près l'essentiel : le bougre a eu ce qu'on appelle "la
grande vie" et tout au long du livre il ne fait que se la péter, se
vendre, vendre ses livres, "quand j'écrivais...", "au moment de la
sortie de...", genre "rétrospective BHL au Centre Pompidou", il ne fait
qu'énoncer ce qu'il aurait aimé entendre de lui, avec ce regard très
extérieur sur lui-même qui le mythifierait presque : ce n'est pas ma
faute si je me préoccupe tant du sort des autres hommes, ce n'est pas ma
faute si j'aime autant les mots (les mots sont plus vivants que nous,
bordel), si je suis bibliophile (quelle tare!), name-dropping à toutes
les pages comme si on avait demandé quelque chose, érudition nauséabonde
et pas franchement nécessaire : tout pouvait être dit plus
simplement.J'ai trouvé ça tellement triste, si peu respectueux de vous,
de vos paroles discrètes qui essayaient de ne pas s'éloigner du but
premier, cette fameuse
littérature de l'aveu (très beau
terme). J'ignore si l'objectif est atteint, j'aurai plutôt tendance à
dire que non, avec un BHL aussi imbu de sa personne, assez fin, assez
intelligent mais fondamentalement un peu con, le genre de mec à écrire
littérature avec un L majuscule, on ne peut pas pénétrer au fond des
choses.
Son journal intime qu'il tient depuis 30 ans (en parler dans un
livre "buzz", quelle bonne idée...), sa rencontre avec Aragon, son père,
son besoin de "grande vie", sa vie, d'ailleurs, qu'on croirait
uniquement composée de relations, de liens, de pistons, de noms propres.
Ce n'est pas franchement de l'aveu, ça ne fait pas mal aux doigts ni au
coeur d'écrire ça, on ne se dit pas "bon tant pis, après tout ce livre
est là pour ça", non vraiment avec BHL en face de vous vous ne pouviez y
arriver. Je pense savoir ce que ça fait d'écrire des choses
"inavouables" sur soi, ce n'est certainement pas avec cette facilité et
cette volubilité qu'il possède qu'on écrit ce genre de choses, il aurait
dû nous avouer son incapacité à se livrer tout à fait, là on aurait
approuvé.
Vous êtes maintenant son ami et je pense qu'on ne peut que trouver
les gens sympathiques à force de traîner avec eux. J'ignore si en lisant
ses courriels sa pédanterie vous a frappé, irrité, beaucoup de zones
d'ombres quand aux circonstances de cette correspondance. Viendra le
jour où cette histoire d'"Ennemis Publics" sera assez vieille pour que
vous en donniez votre avis.
Je dis tout ça mais finalement il y a des choses à retenir, parfois il
est lucide, parfois il est même assez rigolo. Quand par exemple il parle
des moments où il a dû en venir aux mains, j'ai envie de le croire
parce qu'on a tendance à s'imaginer que les intellectuels sont de gros
bébés peureux, ça lui donne de l'originalité, de la virilité, je
l'avoue, même si je n'exclue pas une part de fabulation dans la majorité
de ses récits, ce qui fait que sa vie ressemble à un film et la vôtre à
une vie, son manque d'objectivité, sa fougue un peu ringarde.
Pour finir sur BHL il y a ce moment où vous avouez, c'est vraiment le
mot, que cette correspondance avec lui demeure en ce moment votre seul
et unique plaisir, cela m'a rendu le personnage BHL encore plus
sympathique. Vous êtes très mignon quand vous vous y mettez.
Maintenant je vais vraiment vous parler de vous
Cher Michel
(c'est comme si je recommençais la lettre), ce livre est tout à votre
avantage, ce livre, si on vous aime comme je vous aime, avec admiration,
respect et profond dévouement, ce livre est bouleversant.
J'ai entouré, souligné, marqué avec des petits marques-pages
autocollants ce qui m'a plu, une cinquantaine de passages, peut-être
plus, et j'ai des choses à vous dire mais je crois que je vais aller
vite parce qu'il est un peu tard et que je dois finir Roméo et Juliette
pour demain.
"
On écrit aussi parce qu'on a lu, ça me paraît une évidence; c'est quand
même une sorte de conversation, à travers les siècles, qu'on poursuit.
Alors je sais bien que ni Pascal, ni Dostoïevski, ni Baudelaire ne vont
se lever de leur tombeau pour me répondre. Je le sais, et ne le sais
pas; parce que je me comporte exactement comme s'ils allaient le faire.
Décidément, on n'est jamais aussi rationnel qu'on l'imagine.
Que ce soit une bonne vie, une belle vie, j'avoue que j'ai des
doutes. Qu'est-ce que c'est cette vie où l'on ne peut pas faire trois
pas sans prendre son carnet de notes?"
Inexplicable, vraiment inexplicable, presque exagéré mais ce
passage m'a fait tomber les larmes des yeux. Peut-être à cause de ce qui
suivait (des choses tout aussi importantes), de mon état d'esprit : 2
heures du matin, mon lit, mon petit mal de ventre à cause de mes règles,
tranquillité émouvante. Je ne sais pas mais j'ai pleuré.
Parfois donc je pleurais, une seule fois en fait, le plus souvent je souriais, je rigolais, bonheur bonheur bonheur.
Lorsque
vous parlez de cette correspondance entre votre date de naissance et
celle de Victor Hugo, que pour vous ça signifiait quelque chose,
j'appelle ça de l'aveu, parce que c'est précisément ce qu'on garde pour
soi, nos faiblesses, nos jeux et nos persuasions intimes, tout ce qui
est tout aussi bizarre que personnel, notre part d'enfance, de
simplicité. Et parce que j'ai exactement la même anecdote en moi : un
homme m'a dit que j'avais des "yeux de fougère" exactement comme Proust,
l'histoire pourrait se résumer à ça, vous connaissez la suite...
Vous savez quoi? Je vais arrêter ici, vous dire encore deux trois choses et aller me poser sur mon matelas, sous ma couverture :
D'abord,
ce serait drôle et intéressant de continuer cette correspondance avec
tout un tas de personnalités, je sais que c'est impossible, les
critiques le prendraient très mal, tout ça, mais ça pourrait faire comme
une collection, comme les Martine, Michel et BHL, Michel et Marc Lévy,
Michel et Ardisson, on a le droit de s'amuser, "Ennemis Publics" est
finalement autant un ovni que votre film. Quelle année pour vous...
Puis pour finir, ça m'a touché, l'idée qu'une date très approximative
soit fixée pour notre rencontre, j'angoisse, et je sais que ça passera
très vite, j'aurai voulu vous voir en automne, dans la semaine aussi, le
temps est magnifique, les pieds traînent dans les feuilles et le coeur
est léger. J'ignore ce qu'il restera de mois en "mars-avril".
Je vous embrasse et sachez que, vraiment, Ennemis Publics est
un livre qui me conforte dans l'idée que je ne vous oublierai pas et que
vous êtes quelqu'un de vraiment bien, de bon, d'une lucidité et d'une
sincérité assez exemplaire, bref, une personne qui mérite de passer un
bon week-end.
PS : je vous envoie un peu comme ça la photo de mon premier vrai
contrôle d'histoire qui portait sur les Trente Glorieuses, le prof que
j'aime bien et qui vous lit y a glissé quelque chose de très drôle que
je n'avais jamais vu ailleurs dans ma scolarité, c'est sa façon à lui de
faire naître les sourires.
PPS : j'ai ces deux phrases en exergue de mon blog, trouvées dans
des lectures, je trouve qu'elles collent beaucoup trop bien avec
l'entreprise littéraire qu'est Ennemis Publics, je vous laisse y
réfléchir.
"j'ai soudain senti que je m'étais rééduqué moi-même, et justement par le processus du souvenir et de l'écriture" Dostoïevski
"Règle d'or : laisser une image incomplète de soi..." Cioran
de MH
à moi
le 12/10/2008
Chère Murielle,
Je vais repartir pour tenter de lécher mes plaies.
Ca peut paraître curieux, mais l'échec de ce film m'est beaucoup plus douloureux maintenant qu'à sa sortie.
Ce
n'est pas la première fois que je le remarque : j'ai une sorte de
dispositif d'insensibilisation qui fait que je ne sens pas tout de suite
les coups. Mais ensuite, peu à peu, il y a comme une hémorragie
interne.
Je vous embrasse,
Michel.