jeudi 30 septembre 2010




Ce matin je n'avais rien à faire alors j'ai mis Neil Young, je me suis dit que si on me demandait je dirais que On the beach est de loin son meilleur album, même si je ne les connais pas tous. J'ai l'impression qu'il a fait beaucoup d'albums live et c'est le genre de trucs que je n'achète jamais, un live c'est une photocopie de photocopie qui n'intéresse que la figure fade du collectionneur. Il y avait une pile de CD sur le bureau, que des vieux albums ressortis des premiers étages, des premières années de ma discothèque. J'écoute beaucoup de musique en ce moment, peut-être qu'au fond je n'arrive qu'à ça, cela suppose une concentration minimale, on peut penser en même temps, ça permet la langueur alors qu'il faut être fort pour aller au cinéma et fort pour lire. J'ai toujours adoré écouter de la musique dans mon lit, surtout le matin avant d'aller à la fac, ça m'arrive souvent, je crois que c'est un des plaisirs les plus parfaits de ma vie, innocent, facile à prolonger et d'une extrême efficacité. Me préparer avec de la musique, danser un peu avant de partir à la fac, je construis cette intimité rêveuse contre le monde. J'ai trop connu le plaisir d'un certain enchaînement dans les chansons, je déteste ne pas avoir les CD, j'aime l'odeur de papier des livrets et le plastique neuf du boîtier qui grince un peu quand on l'ouvre, j'aime la très lente appropriation des chansons, les différents types de plaisir qui peuvent exister. Je colle les autocollants promotionnels au dos du CD, je n'arrive pas à les jeter. Bien sûr ce sont des plaisirs trop délicats dont je pourrais très bien me passer s'ils venaient à disparaître un jour; je n'aime pas l'opiniâtreté dans le raffinement.
Avoir mon âge c'est n'avoir presque que vécu, du moins après l'âge d'or du Hit Machine et du CD single, la lente et douloureuse agonie du CD, les discours alarmistes sur le déclin des ventes. C'est s'être figuré les maisons de disques comme étant de méchants requins vivant le téléchargement illégal comme un gros bras d'honneur à leur égard. C'est aussi les artistes embarrassés, devant à la fois expliquer au public qu'ils aimeraient bien vivre de leur musique sans pour autant croire que celui-ci reviendrait par pure bonté à payer plus de 10euros un CD à la qualité incertaine, et puisqu'un artiste est censé être coul, il se doit d'aller dans le sens du public. Voilà la situation depuis quelques années, à bien des égards inintéressante pour le public parce qu'elle concerne le support; problème que chacun d'entre nous a réglé presque inconsciemment, sans se poser de questions ni faire intervenir la morale. A présent l'instinct de survie à encore une fois tout arrangé: les artistes font plus de concerts, et des formes diverses de mélomanie cohabitent en attendant que Papa Hadopi, du moins en France, se charge d'en supprimer quelques unes. Les supports n'ont jamais été autant variés, j'ai des amis qui sortent encore des vinyles en soirée et enchaîne avec Deezer, Youtube ou encore des CD gravés. D'autres perdraient la totalité de leur discographie avec un bug de leur ordinateur; bref la musique se vit enfin comme elle doit se vivre je crois: avec liberté et embarras du choix.

Je n'ai jamais éprouvé le besoin de musique en dehors de chez moi, ou alors je sais attendre. J'ai eu des machines portatives mais j'ai maintenant des problèmes d'oreilles et je me suis vite rendue compte que je n'écoutais pas ce que me disais mes écouteurs, j'éprouvais un écoeurement, un décalage, et puis on triture n'importe comment la chanson. Ecouter de la musique dans les transports c'est amputer la réalité d'une de ces facettes. C'est le plus souvent imposer une bande son inadéquate, trop solennelle, à un cadre qui ne le mérite pas, comme dans les mauvais films: cela procure de l'émotion pour pas cher, ajoutez à ça le ralenti et vous êtes chez Wes Anderson.
J'aime invoquer le souvenir imprécis, imparfait d'une chanson, pour ensuite la retrouver incroyablement flamboyante, meilleure que ce que j'imaginais, "ce refrain c'était donc ça", cela marche à l'inverse du cinéma, où le souvenir d'une scène est toujours plus parfait que la scène elle-même, la musique est toujours plus belle que dans nos souvenirs.
Un jour j'ai lu dans Rock&Folk, je crois que c'était Hubert Félix Thiéfaine qui disait "il faut éprouver le manque de la musique pour pouvoir encore l'apprécier", et j'ai changé mes habitudes depuis ce jour.
Je suis devenue une vieille conne, qui craint un peu la nouveauté mais encore plus la profusion de la nouveauté. Avant je savais m'y retrouver, il suffisait de lire la presse spécialisée, aujourd'hui ça me dégoûte vite, je reste méfiante à l'égard de l'écrit quand il n'est pas purement littéraire, j'ai mon opinion bien arrêtée sur le journalisme, comme tout le monde. Je reviens surtout à mes anciens CD, ils me rappellent des atmosphères passées, le plaisir est redoublé. J'essaye quand même de renouveler mes goûts, de découvrir des choses, le plus souvent j'achète les CD que je n'ai pas encore de vieux groupes morts. Il y a cette faiblesse qui consiste à répudier tout ce qui fait l'objet de trop d'attention, qui à trop de succès, je suis tellement comme ça, j'ai nié l'existence de beaucoup de groupes. Oui alors donc, Neil Young, je ne prends pas de risques, ce sont des écoutes confortables, j'y pénètre à pas feutré et il y fait chaud au fond de sa mythologie, la pochette de On the beach transpire la fin de l'été, une promenade sur la plage un peu plus habillé que d'habitude. J'ai l'impression qu'il parle à des vieux loubards grisonnants et que je commets une imprudence à écouter ces histoires qui ne doivent pas être de mon âge. Ça accompagne très bien le vague à l'âme, c'est une sorte de western crépusculaire, des comptines pour inconsolables, Neil Young est un vieil aigle qui sent la poussière, c'est la figure du sage, d'un sage pas forcément stoïque mais pétri de passions ou plutôt de souvenirs de passions, ces paroles ne disent absolument rien, on ne pleure pas à vouloir les traduire, on est même extrêmement déçu, il n'y a jamais eu que la mélodie chez lui, des mélodies qui vous rendent fou, il nous fait passer du côté très prisé de la fiction.
Je ne sais pas comment on en vient à s'approprier les albums de Neil Young qu'on trouve d'abord ennuyeux jusqu'à qu'on en perce le secret rouge sang. Il suffit de les laisser tourner dans la chambre plusieurs jours, puis certains passages finissent par être reconnaissables, on note le numéro de la plage, puis on la répète et on ne fait que patiner plusieurs jours sur la surface de cette plage qui parfois déborde sur la suivante qui est elle aussi pas mal non plus. Et on finit par aimer le tout, par accepter les chansons plus faibles: au fond, même une mauvaise chanson passe vite, nous échauffe pour la suivante. A la fin de On the beach on attend toujours le monument indétrônable de 9 minutes, Ambulance Blues, même pas chiant, juste parfait.
Donc je suis dans mon lit, Emile me ramène un café parce que je lui rends souvent service, et je ne m'en veux pas de rien faire puis que je ne fais pas rien, au fond j'écoute de la musique, je m'accorde ce répit, et quand l'album se terminera je le remettrai au début. Les plaisirs égoïstes supplantent très bien les projets et les ambitions pour la journée, c'est toujours un petit chemin à exécuter, qui va du lit à la chaîne hifi ou à la bibliothèque, ou encore à la cuisine.

Il y a ce moment où le gong retentit "si je sors pas je meurs", mourir équivaut à déprimer au fin fond du samedi. Il faut essayer de ne pas faire arriver certaines pensées jusqu'au cerveau, pour cela il suffit de bouger, car se fixer c'est s'offrir comme habitat, comme réceptacle fixe à une série de mauvaises pensées qui tournent dans l'air. Les mauvaises pensées tournent dans l'air en attendant de se fixer, les bonnes ne se fixent pas, elles nous traversent et repartent.
Au fond on ne sait pas bien partager la musique, et ça finit toujours en name-dropping insupportable, on ne peut ni bien parler de la meilleure minute d'une chanson et parfois même on ne connaît pas les titres, tout cela appartient à un monde trop flou et trop subjectif, la musique est la solitude de la mémoire en acte. C'est comme vouloir partager un rêve troublant ou un souvenir qui est tout pour nous, une fois qu'on s'essaye à le communiquer on se retrouve confronter au drame de l'incommunicabilité, on passe même pour égoïste alors qu'on voulait émouvoir les autres autant qu'on est ému. Beaucoup de choses nous rappellent à cette solitude fondamentale à commencer par la paire d'écouteurs individuelle qu'on tente de partager non sans inconfort: pour une écoute parfaite, possiblement émouvante, on sait qu'il faut les deux.

Neil Young - Harvest Moon

dimanche 26 septembre 2010

Dimanche soir

Le trottoir luisant
sous les lampes à sodium
me donne le sentiment
d'être sur un podium

Une soirée de dimanche
Il y a les cinémas
Et pour être un peu franche
Il n'y a même que ça

Le manque de volonté
Me permet peu de choses
Je ne peux que marcher
Ca n'demande pas grand chose

Voilà une heure funeste
Où j'ai pour seule pensée
L'envie assez modeste
De vouloir me tuer

Mais personne ne le voit
C'est une souffrance latente
Et comme je marche droit
On me pense vivante

L'activité n'est rien
Elle n'est qu'une façade
Qui dissimule bien
L'individu malade

J'ouvre mon parapluie
L'eau glisse sur sa peau
J'aimerais être comme lui
Imperméable aux maux

Une métaphore surgit
A propos de la pluie
Son lointain grondement
Comme des applaudissements

Personne pour vérifier
Si mon image est bonne
Pour les envies de parler
Il y a le téléphone

samedi 25 septembre 2010

Le poème froid

Aux personnes qui préfèrent le froid

Hé bien les garçons deviennent un peu tristes

Pendant quelques temps, ils ne verront pas
Le corps des nanas, leurs bras et leurs cuisses
Parce qu'il fait quand même de plus en plus froid

L'imagination imaginera
Reconstituera, tout ce qui se planque
Mais je pense plutôt, qu'ils n'y pensent pas
Une sorte d'absence ne laissant pas de manque

Je suis bien contente, qu'il refasse froid
Dans mes habits chauds, je suis vraiment moi
Les gens sont mignons, chaudement enrobés
Comme des sortes de Ferrero Rocher

On boira du thé, des soupes mordorées
On lira beaucoup, des livres étrangers
Sortant du ciné il fera frisquet
Mais les bus sont plutôt bien chauffés


jeudi 23 septembre 2010


Un petit rire complice parce qu'on attendait devant les toilettes ensemble, vous teniez un livre noir dont je n'arrivais pas à lire le titre, habillé comme un baroudeur, des boucles poivre et sel, un choix de style bizarre, que je n'arrive pas à comprendre. La façon dont s'habillent certains hommes, ceux particulièrement qui échappent à la mode et à la chemise de travail, m'est souvent incompréhensible: pas tout à fait négligée parce qu'on sent qu'ils tiennent à certains détails, certaines originalités, une coquetterie profondément personnelle, qui ne dépend d'aucun canon. C'est peut-être dur à se figurer ce dont je parle mais quand on le voit on comprend.
Je comprends un peu plus l'intention de certains jeunes coquets qui aiment mêler l'élégance d'une chemise avec des vêtements
streetwear. C'est d'ailleurs de plus en plus énervant, un peu redondant, on comprend très vite l'idée, une élégance cool adaptée aux exigences de la ville, une sorte de "je ne suis pas là où vous m'attendez, je suis quelqu'un qui surfe sur plusieurs vagues, je ne me prends pas au sérieux, je porte ma chemise avec un sweat à capuche". Il faut toujours se méfier des gens trop actuels, le genre à avoir un compte Twitter, le genre Vincent Glad. On les sent dépendre de choses qu'ils ne maitrisent pas, extérieures et fluctuantes, bref ils sont creux, ce sont des journalistes.

Je ne comptais pas sortir de la journée mais je ne pouvais pas rater ce Wilder rare, j'ai donc fait le déplacement, j'ai même payé la place. Le film était un pur chef-d'oeuvre, Wilder fait un cinéma qui me relie personnellement aux hommes/ aux autres. Quand tout vous incite à couper les ponts, le cinéma est un bon rempart, qui infuse en vous des figures idéales. J'étais au deuxième rang avec personne devant moi ni dans ma rangée, j'avais un peu visualisé le public, il y avait un garçon en t-shirt bleu, un couple aussi peut-être, et vous qui aviez fini par me tenir la porte des toilettes mixtes; on ne devait pas être plus de six ou sept.
Je suis sortie de la séance, purifiée de joie, je suis retournée aux toilettes histoire de me laver les mains et pour vérifier mon rouge à lèvres qui est toujours en équilibre instable, je me demande tout le temps comment il fait pour ne pas déborder, il reste suspendu sur les lèvres, c'est assez fascinant. Vous y étiez aussi et vous m'avez souri en articulant je ne sais quoi, parce que c'était la deuxième fois qu'on se retrouvait aux toilettes ensemble, c'est bien drôle. J'ai eu un sourire franc, appréciant tout de même la pauvreté du contact.
En sortant des toilettes, je me suis dit "il va venir me parler", c'était trop gros, vous étiez en train de regarder les programmes des cinémas Action et au seul bruit de la porte vous avez levé les yeux. Je suis partie doucement pour ne pas vous donner l'impression de vous fuir, me portant moi-même, autonome et naturelle, donnant l'impression de n'espérer rien d'autre qu'un retour solitaire. Le plus souvent le public de l'Action Ecole s'évapore vite, alors qu'on devrait partir plus lentement, discuter du film, profiter de la promiscuité du cadre, des cafés de la rue et du film si discret au milieu d'une si vaste programmation qu'il faut vraiment vouloir le voir pour s'y rendre. Nous avons forcément tous un point commun ou une chose à nous dire, et plus les cinémas sont petits plus les gens qui vont aux mêmes séances que vous risquent de vous intéresser.

Je vous ai senti derrière moi, ce n'était plus qu'une question de minutes, je tentais de garder cette marche naturelle et rêveuse qui suit une sortie de cinéma. Vous étiez certainement en train de résoudre un conflit intérieur "j'aborde ou j'aborde pas", ou peut-être étiez vous déjà très décidé, me laissant un petit moment, peut-être jusqu'à ce poteau. Je fixais mon ombre sur le sol, je trouvais que j'avais les cheveux longs: je voyais des mèches sortir de mon bras, "peut-être est-ce pour ça qu'il veut me parler", ce qui plait est souvent repérable sur soi-même.
Tout est toujours question de psychologie sociale, on passe de rôle en rôle et sous votre regard, j'étais désormais la fille qu'on aborde, et pendant ce laps de temps pendant lequel vous vous échauffiez vous me laissiez alors le temps de me faire à ma nouvelle peau. Vous êtes tombé dans le piège d'une brune aux lèvres écarlates, je parie 100€ que sans ce rouge à lèvres, vous n'auriez pas vu mon visage décoloré. Ce rouge c'était la vie et c'est aussi la femme; je n'en veux à personne, mais promettez moi de ne pas être déçu s'il nous arrive de parler plus longuement ou si vous vous apercevez qu'un visage vaguement aperçu et parfois plus attrayant qu'un visage observé. Je ne sais plus me présenter, j'ai peur d'oublier les politesses, j'ai du mal à dire "au revoir", je veux que l'on se départage équitablement la parole. Je ne me méfie absolument pas, un homme n'est pas un loup, ou alors on en fait un loup quand ça nous arrange, quand il est un peu lourd, mais la plupart du temps on est juste un peu embêtée de devoir hausser le ton pour s'en débarrasser.

Les choses ne changent pas, malgré nos individualités, on est empêtrés dans toute une série de codes et de précautions, c'est un peu fatigant, et notre discussion n'est qu'une série de tentatives pour pouvoir en sortir, comme l'avion dans le film qui cahote longuement, ondulant au ras du sol avant de s'envoler franchement.
Nous marchons soudainement à distance égale, vous êtes bien habile, "le film vous a plu?", comme si la discussion reprenait, vous étiez bien mignon et bien sûr de vous-même. Alors je vous ai fait partagé mon avis, initialement programmé pour n'être partagé avec personne, oui c'était magnifique. Vous aviez aussi adoré, et êtes passionné d'aviation "c'est pour ça que je suis venu", aussi conscient que moi qu'il s'agissait d'un Wilder rare, le mot qui revenait c'est qu'il s'agissait d'un film très humain.
J'ai parlé en des termes très élogieux, très superlatifs, de Billy Wilder, disant qu'il était proche selon moi d'une sorte de sans fautes dans sa filmographie. On longeait toujours la rue des Ecoles, c'est une longue ligne droite et sereine. Je sais que c'est en traversant la rue Saint-Jacques que vous m'avez dit "mais pour être passionnée comme ça de cinéma, vous faites des études?". La suite consistait à parler de soi le plus objectivement possible, on délivre à l'autre la première couche superficielle de soi-même, de toutes manières sur soi-même il n'y a que ca à dire d'à peu près sûr, le reste est encore un peu confus. Je n'étais pas contre, ma situation me résume bien, alors qu'un employé de banque voudra certainement défendre qu'il est autre chose, pour ma part je suis ce que mon activité dit de moi, avec l'imaginaire que cela suppose. Quant à vous vous enseignez la sociologie politique du Moyen-Orient, d'Afrique aussi je crois, enfin votre ton me faisait comprendre que ça ne servait à rien de préciser. Vous êtes revenu à Paris il y a quatre ans, après avoir travaillé à l'ONU, enseigner vous laissait du temps pour aller au cinéma, étudier et lire. Arrivé boulevard Saint-Michel je vous ai demandé par où vous passiez, comme pour interrompre un peu la rêverie des épanchements mutuelles. On aurait pu certainement aller à la dérive, mais il est suspect de changer ses projets pour un inconnu, même quand on en a pas et que l'on va juste rentrer chez soi.

Il y avait deux choses possibles qui auraient été brusques de votre part, le "vous prenez un café?" que j'aurais je pense accepté, parce que j'ai du mal à aller au café la nuit toute seule et que j'en avais envie. Il était encore tôt, notre rencontre apportait quelque chose de festif à la soirée, bref, on aurait bien discuté jusqu'à ce que j'entame une deuxième interruption d'ordre pratique, portant sur l'horaire des derniers métros. Je dirai la deuxième chose plus tard, poursuivons un peu.
J'en étais à cracher un peu sur Chabrol et vous à me demander si "Le beau Serge" était bien, "puis de toute façon, le cinéma français...", j'étais dans les grandes lignes d'accord avec vous, et gardais mes exceptions au fond de ma bouche. J'habite Courbevoie, vous connaissiez la piscine olympique de Courbevoie et vos parents habitent toujours en banlieue, vous habitiez Nanterre plus jeune, maintenant dans le 18ème. On a parlé de choses qui personnellement m'intéressent ou qui finissent par intéresser quiconque fréquente beaucoup les cinémas du quartier. J'aime bien voir que d'autres personnes y sont sensibles, cela concernait les programmations des cinémas, la carte UGC et les quelques rebelles qui ne l'acceptaient pas encore. Vous m'avez dit que les cinémas qui l'acceptaient étaient apparemment soumis à certaines programmations, je vous citais quelques cinémas qui y échappaient quand même, vous avez dit qu'au fond vous ne saviez pas. Je regardais devant moi, m'autorisant parfois à fouiller votre visage de profil et qui dépendait beaucoup des éclairages, je le voyais changeant et coloré, creusé d'ombres lisses, je pense avoir été fixée sur une tranche d'âge approximative : début de la quarantaine. Il fallait aussi me décider : étiez vous plaisant à la discussion et même physiquement? Vous aviez une bonne voix, votre profession et votre vie large comme un monde m'intéressaient, votre visage était compliqué à saisir, on pouvait vous définir comme un quadragénaire séduisant, au visage sec, qui gagnait à perdre en jeunesse.

Vous m'avez demandé mon prénom avant que je ne vous quitte Métro Odéon, et vous ne m'avez pas demandé mon numéro de téléphone, ce qui est la deuxième chose que j'ai apprécié de voir manquer. Vous m'aviez confié aller souvent à la Filmothèque, et je vous ai beaucoup parlé du Reflet Medicis, bref soit vous comptiez encore une fois sur le hasard pour nous réunir, ce serait alors un peu dérangeant : faudrait-il par exemple s'asseoir l'un à côté de l'autre au cinéma? Soit vous comptiez seulement agrémenter votre trajet d'une discussion avec la fille des toilettes.

D'aucune façon on ne s'engageait l'un envers l'autre, et j'ai aimé cela même si d'un autre point de vue on peut trouver que c'est vexant, je mets cela sur le compte de votre intelligence: les moyens mis en oeuvre pour entrer en contact avec un être humain diffère selon qu'on soit un rustre ou un homme délicat, soucieux de ne pas irriter. Il faut en toutes relations et malgré les désirs de posséder certaines personnes, toujours laisser l'autre absolument libre parce que justement, il reste au fond absolument autre. La meilleure façon de prévenir les désirs est encore de ne pas imposer les siens. C'est bien ça que j'apprécie dans certaines amitiés, sentir des liens transparents qui ne dépendent ni de la fréquence des rendez-vous ni de je ne sais quel autre détails pratiques,
comme une lien assez long et lâche pour qu'on ne puisse pas en ressentir la résistance lorsqu'on s'éloigne un peu. La fidélité se construit dans une approbation mutuelle des intelligences, quand elle a lieu, rien ne l'annule, sinon le fait de décevoir par certains comportements.
Vous espériez qu'on se revoit dans le coin un jour, espoir que j'estime fragile et en même temps facile à contenter; tout peut arriver, il y a tellement de séances, on peut être dans beaucoup d'endroits différents, nos corps prennent si peu de place et sont si peu visibles.
Vous m'avez laissé à mon métro, vous comptiez marcher dans la nuit alors que j'étais condamnée à une ballade moins fluide et plus nauséabonde dans les transports souterrains. Dans la rame, de jeunes musiciens insupportables avec des voix molles de branleurs se racontaient qu'ils avaient la flemme de plein de trucs, cruauté des contrastes. J'ai écrit un sms à Juliette pour lui raconter, cela apaisait le vertige de la rencontre. A mes yeux les rencontres sont toujours pleines de gravité.



mercredi 22 septembre 2010

RENFERMEMENT NOCTURNE

Après minuit, je ressens comme le sentiment du monde
Tout est calme sur les corps, mais mon esprit rugit
Les heures lisses s'écoulent, ma plume met au monde
Je m'endors; le sourire du travail accompli

Il est difficile d'être lu autant que l'on voudrait
Lorsqu'on n'est au fond, personne pour les autres
On finit par ne plus se rendre présentable
On ne parle que pour soi, jouissance de se comprendre

L'inhabituel a je crois, toujours fait souffrir
Mais on compte sur soi-même pour être malléable
Faire des souffrances nouvelles, un donné confortable
De ses éternels défauts, un nouveau monde à lire

D'une minute à l'autre, je peux être le plus fort
Par la confiance en soi, tout deviendrait possible
Les relations aux autres, souvent inadmissibles
Muées en surfaces sereines, d'écoute et de renforts

Passer toutes ses années à vouloir s'expliquer
Alors que persiste ce trouble, ce trouble dramatique:
la rage de vouloir dire, l'indifférence publique

Au centre de mes doutes
Je reste persuadé
Qu'il faut que l'on m'écoute,
pour pouvoir m'aimer

mardi 21 septembre 2010

Poésie comme ça

Le matin est pareil à un film, qu'on ne devrait pas rater
Se sentir être le meilleur parce qu'arrivé le premier
A la radio : météo et chroniques, un peu avant huit heures
Ma bouche reprenant connaissance avec la tartine de beurre

Je pense vaguement aux probabilités
Des dormeurs tardifs de matinée
Endormis par la fatigue féconde
De trop de larmes versées contre le monde

Pour eux un simulacre de rituel débutera à l'heure du déjeuner
La ville brûlant depuis des heures de sa poétique quotidienneté

Métro Tolbiac: une cigarette, un panini, en attendant midi trente
Heure du cours hebdomadaire, portant sur Emmanuel Kant

samedi 11 septembre 2010


"En second lieu la délicatesse de goût est favorable à l'amour et à l'amitié, qui restreignent notre choix à un petit nombre de gens et nous rendent indifférents à la compagnie et à la conversation de la plus grande partie des hommes [...] Mais, pour faire allusion à l'expression d'un célèbre auteur français, le jugement peut être comparé à une horloge ou à une montre, où la machine la plus ordinaire suffit à dire les heures. Mais seule la plus élaborée peut désigner les minutes et les secondes. Quelqu'un qui a bien assimilé la connaissance des livres et des hommes a peu de plaisir, si ce n'est en la compagnie de quelques amis choisis. Il ressent de manière trop sensible les insuffisances du reste de l'humanité par rapport aux notions qu'il a nourries. Et, ses affections se trouvant ainsi confinées à l'intérieur d'un cercle étroit, il n'y a pas à s'étonner qu'il les pousse plus loin si elles étaient plus générales et moins distinguées. La gaîté et l'espièglerie d'un compagnon de table deviennent avec lui amitié solide, et les ardeurs d'un appétit juvénile, élégante passion."
David Hume, De la délicatesse du goût et de la passion, Essais Esthétiques

Septembre a toujours eu quelque chose d’un peu spécial, de très vivant. Déjà quand j'étais collégienne et lycéenne c'était un mois qui savait couler agréablement, sans se faire sentir. Dans une nouvelle tenue et une odeur de protège-cahier je faisais ma rentrée et pendant tout le mois de septembre je ne me sentais à aucun moment assaillie par le travail mais en passe de le devenir. Je savourais ce sursis pendant lequel les choses prenaient simplement le temps de s'installer. Ca venait progressivement et je restais sensible à ce progrès : comment passe-t-on d’une période neuve où les professeurs ne connaissent pas encore les prénoms de leurs élèves encore tout bronzés et presque motivés pour travailler, à une période d’ennui, de répétition, d‘évaluation. Je rentrais du collège et du lycée et je m’endormais très douillettement, je me souviens que je vivais n‘importe comment. Je me souviens que je dormais tout le mercredi après-midi en écoutant
Forever Changes de Love, jusqu’à ce que ma mère me réveille en gueulant pour que j’aille chercher Emile au centre aéré. Je faisais rarement mes devoirs, je les trouvais ennuyants, j'avais la grande vie sur internet. J’ai donc toujours aimé septembre, c’est une période douce, un mois autonome, un mois de transition où l‘on réapprend des gestes qui serviront toute l‘année, un mois où les nouveaux objets affluent. Il y a les rentrées des chaînes de télé, des radios, la rentrée littéraire, la rentrée scolaire, tout le monde rentre quelque part, on réapprend à réinvestir sa place ou à en investir une autre. A toutes les échelles de la vie les événements légers se chevauchent. Septembre est une sorte de renaissance artificielle, de saison inventée par l'homme.

Aujourd’hui septembre est un mois que je ne pensais pas si dur à écouler mais qui dans sa tristesse a quelque chose de doux. Je me sens un peu perdue, quand je me réveille vers midi, je mange du Nutella au creux d'une journée déjà entamée pour un paquet de gens. Je cherche un ordre à mes activités, un ordre que je semble avoir perdu. Je ne sais pas ce que je dois faire, je sais qu’il n’y aura pas de mission, pas de devoir, juste de grasses occupations et un sentiment de satisfaction ou d’insatisfaction au bout de la journée. Les cinémas, conscients de notre désoeuvrement nous bombardent avec cette pub de jeunes débiles qui marchent en souriant vers le MK2 Bibliothèque « 1 Max 2 Ciné, 1 place achetée = 1 place offerte seulement pour les moins de 27 ans ». Il y a donc les cinémas, et la lecture, mais je n'arrive plus à m'intéresser sincèrement à quelque chose, seulement à Houellebecq en fait. Je n'arrive plus à me concentrer, je n'arrive pas à m'arrêter de penser à des choses, pas des choses graves, juste un défilé de faits, d'objets, de projets, des pensées sur un tapis roulant. Un jour ma concentration reviendra, je sais que tout est temporaire.

Dès que je suis rentrée de Malte j'ai dû demander à Juliette ce que je faisais de mes journées avant, elle m'a tout rappelé. J'ai dit d'accord et j'ai refait comme avant sauf que je n'y croyais plus. D'un côté c'est dérangeant de vouloir faire autrement quand on ne peut pas, alors j'ai aménagé le temps autrement et maintenant je reste un peu plus longtemps au lit. Je ne sors qu'en soirée, car les soirées à la maison sont dangereuses, le monde se dresse contre vous et vous paniquez silencieusement, à 23 heures le calme revient un peu. En soirée donc, mieux vaut s'agiter dehors et faire croire que vous êtes parmi les choses et que les choses sont concernées par vous.
Réfléchir un peu en profondeur c'est réfléchir dangereusement, c'est finir par penser que rien ne vaut le déplacement et finir insensiblement par ne plus se déplacer. J'en viens même à penser que les choses de l'art qui parfois consolent ne valent que pour les personnes en bonne santé et que pour les tristes l'art équivaut à du sel dans une assiette vide.
Quant à la vie sociale, on peut avoir 19 ans et penser vaguement à en faire son deuil : quand on ne sait pas rassembler, que les discussions molles, inessentielles nous irritent, qu'on pense ne rien avoir à dire de spécial à personne: mieux vaut rester alité. A présent, au fond de toutes activités il y a un désespoir lasse qui brille un peu.


Lady Gaga - Alejandro