samedi 27 juin 2009

"Or, à quoi d'historique est-ce que je crois actuellement? Peut-être aux révolutions? Mais, outre que l'on a jamais tiré de la bonne poésie de l'idée d'une révolution en action, je ne m'enthousiasme pour elles qu'à fleur de peau. Naturellement, il ne s'agirait pas de décrire les tumultes, l'éloquence, le sang et les triomphes de la révolution, mais de vivre dans l'atmosphère morale, et à partir de là, de contempler et de juger la vie. Est-ce que j'éprouve ce renouvellement moral? Non, et j'ai même jusqu'à maintenant manifesté une certaine tendance à célébrer dans la vie plutôt les facultés statiques et jouisseuses que les facultés actives et rénovatrices."
Le métier de vivre - Cesare Pavese

Mon père m'a trouvé un travail chez un ami de la famille. Cela fait plusieurs mois que je devais aller voir l'employeur qui travaille avec sa femme dans une société d'assurance et qui comme tout les amis de la famille m'aura vu grandir. Il a d'abord été très surpris de me voir aussi changée, et elle aussi. Ce premier sujet d'étonnement, ce "comme tu as grandi" entendu, même sincèrement pensé reste la seule chose qu'un ami-de-la-famille puisse trouver à dire aux enfants de son ami. Ces derniers temps, consciente d'un réel changement opéré sur ma personne qui durant les autres années ne se manifestait que par une modification de coiffure et de tenue d'une année sur l'autre, j'ai vu les réactions des amis libanais comme de la famille s'amplifier de façon de moins en moins surjouée, de plus en plus sincère et nourrissant l'étonnement de cet autre étonnement d'avoir pour une fois été réellement surpris. C'est vrai que j'ai grandi, que j'avais les yeux maquillés, ma frange, et les traits reposés, et puis, il faut le dire, connaissant les codes j'avais sournoisement pris soin de me faire belle.

Mon travail consistera à saisir des données dans un logiciel d'archivage, le travail avait déjà été fait mais tout a été perdu lors d'un plantage comme chacun doit en avoir vécu au moins un. Et c'est là que j'interviens, avec mes doigts rapides de bloggueuse et mon temps libre à profusion. Spontanément j'ai pensé que ce travail qui me fera me lever à 8h30 pour courir à Puteaux et arriver à 10h pour finir vers 15h30 ne pourrait que me gâcher mon temps de vacances. J'ai énormément de mal avec la contrainte, le baby-sitting me tuait, j'aime désespérément faire ce que je veux et quand je ne le fais pas je me sens triste et oppressée, n'essayant jamais de "prendre sur moi". Quant au secteur tertiaire je ne l'aime que dans les livres et la vue des dossiers d'archives, même colorés, me donnaient l'envie de bailler.
D'un autre côté et parce que je n'ai pas d'autres choix que de me persuader des avantages, je n'émerge de chez moi qu'à partir de 15-16 heures, heure à laquelle j'aurai fini, et si je suis trop fatiguée pour entreprendre de sauver la journée, j'irai me rincer la gorge de café. Ce travail me pliera à une discipline (discipline de l'horaire, de l'ennui, de la politesse), chose que les vacances s'annonçant longues, s'appliqueront à me faire oublier jusqu'au mot. Enfin je ne culpabiliserai plus devant la somme que je dépense quotidiennement dans Paris puisqu'en contrepartie j'aurai passé ma journée à renflouer les caisses, tout s'équilibrera. Ces derniers mois je me dégoûtais à dépenser autant d'argent de façon si irresponsable, avant j'avais pour habitude de tenir un cahier de compte mais j'ai vite fait d'arrêter pour me décider à littéralement dépenser sans compter : je ne sais pas vraiment combien j'ai sur moi ni combien je dépense, je sais juste que je vais presque tous les jours au café sinon au restaurant, je n'achète plus de Cd mais je n'hésite pas à m'offrir encore et encore des livres, et puis des vêtements, tout récemment.
Je vais donc passer un mois à mettre des baffes à mon côté pourri gâté, il s'agira d'une frustration positive et productive au sens où le temps libre, par sa rareté et par contraste avec l'ennui du travail ne pourra être que mieux utilisé et apprécié.
Je crois par exemple que le désir d'un projet de création n'est jamais aussi fort qu'en période de dur labeur, il nous faut l'urgence, la contestation, le sentiment que les choses ne s'obtiennent pas de façon magique et qu'il nous faut agir pour être reconnu. La création se fait alors contre la pauvreté d'une partie de la vie, ce sont les lignes de Francis Ponge que j'aime paraphraser : il ne disposait que de 20 minutes d'écriture après son travail. Dans la même idée : je n'ai jamais autant écrit ici qu'au moment où je n'avais pas internet à la maison et Sartre n'a "jamais été aussi libre que pendant l'Occupation". L'amalgame est maladroit mais rend bien compte de l'absolue nécessité de la contrainte en toute situation. On ne saurait être libre n'importe comment. A mon âge et dans ces conditions (5h30 de travail d'archivage par jour) le travail aura quelque chose de sain sinon de purificateur. L'excès de temps libre a quelque chose d'immoral; être au monde c'est désormais "y être au travail".
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Pendant que Viviane m'expliquait ce que j'avais à faire mon portable a sonné. J'ai vu en sortant que c'était A. qui m'appelait: je pensais qu'il avait lu mon mail lui annonçant ma nouvelle et totale disponibilité, il me demandait comment s'étaient passées mes épreuves de bac et de le tenir au courant. La timidité m'étant déjà une difficulté j'aime être au calme pour l'appeler. Je ne l'ai rappelé qu'une fois au Jardin du Luxembourg où je m'étais installée pour lire Le Métier de vivre. Il était en Corrèze avec son petit-neveu et nous avons parlé quatre minutes, il m'a dit qu'il revenait bientôt et que nous pourrions nous voir, que je ne devais pas hésiter à l'appeler. C'est l'une des personnes que j'ai envie de voir pendant ces vacances; j'ai, de toute façon, envie de voir des gens, "faire des rencontres" avec la simplicité que suppose l'expression.
Avec A. on se voit tellement rarement mais c'est toujours très beau, on a des choses à se dire et je crois que ma jeunesse doit objectivement avoir pour lui quelque chose de rafraîchissant: même s'il est d'une gravité sans nom dans tout ce qu'il fait c'est à peu près l'effet qu'il me fait, celui d'un calme dépaysement; j'endosse tout de suite les problèmes d'un autre monde. L'évoquer me fait me rendre compte qu'il est lui aussi très concerné par ce que j'ai dit du travail qui semble lui conférer la "rage de l'expression" (Ponge) mais dans un même temps annihile la majorité de ses forces. Je ne pense pas qu'il soit humainement possible de se retrancher tout à fait du métier que l'on exerce, se dire : je le fais mais il n'est pas moi. Comme dirait le type dans Taxi Driver (vu tout à l'heure) "je fais mon job, je deviens mon job", même s'il ne nous transforme pas il nous démoralise et le reste de la vie se passe en réaction à lui. Dans l'année mon professeur de philo nous a donné à faire un exercice aussi facultatif qu'extrêmement réjouissant sur le sujet : il s'agissait de voir en quoi un métier pouvait influer sur la vie de celui qui l'exerce. Sans vous l'imposer, je vous met à disposition ma rédaction qui n'a pas grand chose de scolaire et doit donc avoir sa place ici, je ne l'ai pas relu et m'excuse pour les fautes que je sais nombreuse.

jeudi 25 juin 2009

Hier soir avant de m'endormir j'ai pris trois secondes pour me fixer des buts pour la journée d'aujourd'hui. Pour le temps libre il faut procéder par anticipation, sinon on ne s'en sort pas. En manque d'idées l'épisode du sac poubelle s'est révélé incontournable, résultat: on distingue enfin la couleur du bureau. J'ai jeté toute l'histoire géo, j'ai gardé toute la philo. Par volonté de mettre les cahiers hors de ma vue, excédée, j'avais tout enfoncé sous mon lit. Il me reste les petits manuels de révisions Bordas pour l'histoire géo ainsi que le manuel de croquis Belin conçu entre autre par M. Delmas et qu'il avait eu la gentillesse de me dédicacer. "Désolé, ça n'est pas du Houellebecq...chacun fait de son mieux.". Chacun fait de son mieux, cette phrase m'avait tué.
J'ignore quelles formes prendront ces vacances et je me dis un peu bizarrement que seul une épreuve de rattrapage pourrait me faire goûter une dernière fois avant longtemps les joies du travail.
Je me suis réveillée à midi et j'ai mangé des tartines en écoutant toute les émissions de France Inter les unes à la suite des autres alors que normalement je n'en ai le droit qu'à une. J'ai consulté mon Pariscope acheté hier avec Cécilia, on a donné 80 centimes et la caissière nous a tendu les fraîches possibilités de la semaine. Maintenant je suis dans mon lit et j'éprouve une petite excitation à l'idée que ma pile de livres fonde, à l'idée de commencer à faire de la philo sans enjeux pendant 3 mois, à l'idée d'un emploi du temps quotidien qui sera souvent le même mais dont je ne vais pas me lasser, il suffit de savoir ce que l'on aime faire et de ne pas trop dépenser. Apprendre à vivre avec soi-même pendant 3 mois sera le beau défi. Je vais aussi travailler, je reprends la relève du baby-sitting de ma soeur qui part pendant 3 mois à Dubaï pour un stage et j'ai dit à Emile qu'il pourrait venir habiter dans ma chambre pendant cette période. Quant à moi je n'ai aucun voyage d'organisé, j'ai refusé le Liban de cette année et consulter la brochure EF inaugurerait le début d'une série de choix et d'efforts dont je ne me sens pas encore capable. J'ai toujours eu des désirs de voyage, souvent en Russie et en Asie orientale et qui se sont accrus avec les cours de philosophie, tant pour les anecdotes de voyage du prof que pour le contenu des cours, mais j'attends de pouvoir être véritablement autonome jusque dans le financement de mes vacances pour laisser décider de la destination ma curiosité. Tant que mes parents me financeront je ne pourrais compter que sur des anti-voyages trop organisés alors je préfère rester ici. J'ai été rassurée le jour où j'ai senti en moi le début d'un goût pour le voyage alors que je m'étais toujours plu à dire par provocation à mes parents que je n'aimais pas voyager, puis j'ai fini par voir dans cette attitude le premier indice d'une fermeture d'esprit. Dans un sens la littérature fait déjà voyager très loin, j'ai l'impression de parler comme dans une pub mais c'est au final très vrai et d'une évidence qu'il est bon de rappeler. Seulement le vrai voyage se nourrit d'images et d'odeurs, de "concret", c'est quelque chose qui se passe avec le corps, de très sensuel (je pense à l'odeur du Liban, à l'atmosphère du climat qui influe sur tout le reste). Peut-être alors que, comme on aime à nous le répéter pour la philosophie, l'apprentissage ne suffit pas et il faut à son tour pratiquer. "On leur demande des réponses, il ne nous donne que des désirs" écrit Proust à propos de la lecture : un écrivain est d'abord un lecteur désirant écrire. Ainsi l'on apprend le voyage dans la littérature mais il ne nous est pas donné, et il reste à faire.


Je me suis recoupée la frange, j'ai acheté sans essayer et en moins de deux minutes deux robes bleu marine, je crois que cette manie d'acheter tout ce qui est bleu marine est maintenant devenue comme un devoir. J'ai bu un coca light en face du Champo, des hommes venus de province et très bruyants sont venues s'installer devant moi, je n'ai pas trop réussi à lire, au début je les détestais après j'ai commencé à tout leur pardonner. J'ai dit au revoir au garçon qui ne m'avait pas servi, c'était un au revoir symbolique, un au revoir au café, c'était le garçon de la dernière fois qui a un visage plutôt très beau et que je n'arrêtais pas de dévisager quand je portais mes lunettes de soleil, il a dû me reconnaître. Je suis allée à ma séance de cinéma, A tombeau ouvert de Scorsese, pour changer. La dizaine de personnes présentes rigolaient "avec la voix" sauf la fille devant moi dont le silence m'inquiétait un peu, mais j'ai pu finalement deviner par la lumière que l'écran projetait sur son visage -et c'était très joli- qu'elle souriait par la forme bombée que prenait ses joues. En sortant Marie m'attendait assise dans le petit hall alors qu'il était 23h40 et qu'on avait le temps de rien faire sinon le trajet inverse. Ca m'a fait plaisir de la voir, surtout que je trouvais ça déprimant ce trajet nocturne en milieu de semaine. On est quand même passé par un glacier pour fêter ça, Marie a demandé une glace à la violette "avec de la chantilly" mais la bouteille était vide alors il lui a fait un prix pour la consoler et quand ce fut mon tour j'ai dit "un cornet simple au nutella...sans chantilly" et il m'a aussi fait un prix.
Nous avons pris le bus de St-Michel jusqu'à St-Lazare, on ne prend plus du tout le métro, la ligne 14 pue beaucoup trop, ce n'est plus possible. Je lui ai montré mes robes en les dépliant comme je pouvais, elle m'a dit "tu achètes toujours les trucs moches avec nous et les trucs beaux toute seule", je voyais ce qu'elle voulait dire. Sur le quai du métro elle m'a ensuite dit: "tu t'es faite toute belle aujourd'hui, c'est pour qui?" j'ai rigolé car j'en avais justement pris conscience aujourd'hui que quand je sortais toute seule je me faisais toujours belle et en plus pour personne, je crois sincèrement que je me fais belle pour les gens dans la rue et aussi pour moi même, on est presque comme bluffé devant son reflet ou devant l'effet qu'on suppose faire sur les autres. Quand on se trouve beau on est toujours autre que soi-même, on est "l'ami qui a réussi" et quand on se trouve laid c'est comme si on était trop englué en soi-même, on s'encombre.
En rentrant j'ai essayé mes robes et je les ai montrées à ma mère, elle était très joyeuse devant le résultat et les a trouvées très belles, l'une est une saharienne bien étroite et bien plaquée sur le corps, la matière est un peu rigide, l'autre est beaucoup plus impressionnante, un peu brillante et plissé, j'aimerais bien qu'on m'invite à une soirée uniquement pour le plaisir de la mettre et de me montrer. Je crois que j'aime les robes depuis que j'ai entendu ce qu'en a dit Gilles Deleuze en parlant du désir. Le passage est très souvent repris sur internet, mais c'est justifié :
"quand une femme désire une robe, tel chemisier, c’est évident qu’elle ne désire pas telle robe,
telle chemisier dans l’abstrait, elle le désire dans tout un contexte de vie à elle qu’elle va organiser, elle le désire non seulement en rapport avec un paysage mais avec des gens qui sont ses amis, ou avec des gens qui ne sont pas ses amis, ou avec sa profession etc. Je ne désire jamais quelque chose de tout seul. Je ne désire pas un ensemble non plus, je désire dans un ensemble."

Elle m'a ensuite expliqué qu'au moment où elle partira dix jours à Dubaï je devrais m'occuper d'Emile et de mon père, les faire manger, ne pas laisser Emile prendre la trottinette dans la rue et lui faire manger sa compote et sa Danette comme elle le lui fait tous les soirs dans son lit, aller à pied chercher des pizzas, leur dire de nettoyer la cuisine, faire un peu de courses au Franprix. J'ai réfléchi à ce que je pouvais faire d'un peu fou en son absence, dans les films pour ados c'est toujours quand les parents partent que la vie commence, mais en fait je crois que je vais m'en tenir à des séances de cinéma à 22h, et des glaces sans chantilly. C'est le plus bel hommage que l'on puisse rendre à sa vie : ne rien changer même quand on peut.

mercredi 24 juin 2009

Numéro du candidat : M920800090

Hier s'imprimait par dessus la vision écoeurante de mes cahiers, celle beaucoup plus plaisante d'un gros sac poubelle où j'enfournais les fiches de révisions sans tri ni compassion; par pur esprit de vengeance. Aujourd'hui il est 22h et je n'en ai même pas la force. Ma soeur est partie chez son amie à Toulon et elle revient samedi, cela me laisse donc un peu de temps pour marquer mon territoire de mille façons possibles, autrement dit foutre le bordel sans envisager son probable mécontentement à trouver mon bas de pyjama et/ou ma tasse de café sur son ordinateur portable: tout le charme de la nature morte moderne. Je m'entendais très bien avec elle en ce moment, on discutait beaucoup, j'avais besoin d'être consolée de mes révisions, d'y être tirée le plus loin possible sans pour autant changer de pièce; et elle était là et nous pouvions discuter chacune dans son lit, en fixant le plafond ou en jouant avec la peau de notre bras.J'insiste beaucoup auprès des gens pour souligner le caractère traumatisant du baccalauréat qui nous fait nous trouver en butte à des doutes, une fatigue d'un tout autre genre et qui touche le cerveau, la mémoire pleine d'une soupe qu'elle n'avale plus, cette communication superficielle qui n'allège en rien notre responsabilité; mais je l'ai déjà dit. Ainsi les révisions n'ont aucun charme pour elles, sinon quelques comportements que j'ai su relever dont un bien particulier, celui des micro-pauses qui consiste en de petites choses: aller chercher quelque chose dans le frigo ou tout simplement une porte à fermer et qui sont autant de petites ruses servant à différer la difficulté, à s'en échapper pour un moment. La procrastination (mot le plus moche de la langue française, oui) n'a qu'un remède et c'est l'obligation combinée à l'urgence.
Les révisions ont cette façon à elles de tout niveler, de réclamer pour fonctionner un espace privé de réalité et de repères, elles neutralisent les heures de repas et de repos, le sens de l'orientation dans la semaine, l'idée que l'on s'était faite des heures de la journée, toutes projections dans l'avenir, toutes lectures de livres et de magazines. Quant aux séances de cinéma grattées ici et là au cycle Martin Scorcese de la Filmothèque, aux rêveries du Jardin du Luxembourg il a fallu vite y mettre un terme. Quand on pense leur échapper, on parle ou l'on pense encore à elles. Bien sûr tout peut se passer, un film peut avoir lieu, une promenade aussi, mais jamais sans l'arrière-pensée démoralisante que nous ne sommes pas tout à fait à notre place.

Hier ma vie avait quelque chose de plus déterminé, elle était plus facile à comprendre, il y avait un but et il y avait moi qui m'y préparait; je pensais qu'une fois la dernière épreuve passée le soulagement sinon un vague sentiment de stimulante liberté venant du fond du ventre suivrait, au lieu de ça je tombe sur le trou monotone et béant qu'a laissé derrière elle l'angoisse impériale. Je ne sais pas trop quoi en penser, j'ai donc préféré sombrer dans l'achat de quelques t-shirts informes mais colorés (et soldés) qui m'habilleront pendant les vacances, le jaune poussin du t-shirt Gap dissimulera tant bien que mal ma probable petite langueur estivale. Oui jaune poussin, il y a des choix qu'on aime bien faire parce que justement ils ne sont pas nous.

Dans la salle d'examen, je finis toujours plus tôt que les autres pour l'histoire géo, je sais où je vais et je fais mon chemin, assurée de mes connaissances le parcours est prévisible et s'annonce comme autant de petits bonds d'une connaissance à une autre. Parce que je dois attendre les copines et que je ne veux pas sortir la première par peur de ce que cela représente, je reste aux aguets, dans l'attente d'un épiphénomène et parce que je sais que n'importe quel situation de la vie possède ses charmants détails, aussi minuscules soient-ils, pouvant nourrir un texte littéraire. Alors j'observe : Iba qui mange du chocolat et qui a laissé tomber les clémentines, les bouteilles d'eau présentes sur la totalité des tables comme livrées avec elles : certains adoptent la bouteille de 50cl, d'autres le litre par peur d'un incendie...ou une anti-sèche sur l'europe rhénane en lieu et place des informations nutritionnelles. Des papiers de mes chewing-gum à mes pieds datant d'avant-hier, synonyme que je suis restée peut-être trop longtemps dans cette salle. Quelquefois, la difficile tentative de croiser le regard des copines toute derrière moi, et puis Hubert qui pendant l'épreuve d'espagnol se démène à dévisser son stylo plume, la surveillante qui demande "qui est fort?" et moi qui me propose par simple fidélité à mon bizarre esprit d'initiative même quand je ne suis pas à la hauteur et que mes copines rigolent. La défaite aurait été triste et réussir après trois personnes était digne d'une victoire de cour de récré.

Il n'y a pas beaucoup de monde dans les magasins, ce n'est plus cette image américanisante de la femme engloutie sous les sacs, j'ai dit à ma mère "c'est plus les soldes d'il y a 8 ans", avec ce souci vain d'approcher la date exacte de ces images au JT où l'on voyait des hommes se faufiler à plat ventre sous les grilles des Auchan. Les gens tiennent trois sacs et ils s'en satisfont; demain ils porteront du jaune poussin.


J'ai revu Monsieur Delmas tout à l'heure, il surveillait une classe et partait s'acheter un sandwich. Je l'ai vu une première fois fumer autour des élèves regroupés devant les grilles. J'ignore comment s'organisent les surveillances mais je pensais que certains profs en étaient épargnés dont lui. Lors de son dernier cours, j'étais sortie du lycée avec une tristesse que j'aurai voulu plus prononcée, il n'y avait pas eu de véritable scission, il n'y avait aucune preuve tangible de rupture, on pouvait encore croire que l'année se poursuivait et l'on prenait la lourdeur morale de fin de semaine pour la tristesse d'une année finissante. Aujourd'hui, il était plus beau qued'habitude, disons plus "en forme", avec cette coupe nouvelle et qui lui fait les cheveux coiffés vers un côté, ça le rend tout sage tout mignon, j'aimerais qu'il comprenne que ça lui va bien. Il portait une chemise bien blanche et une veste noire, je n'ai rien à dire sur cette tenue sinon qu'elle le rendait charmant, même si j'aime de moins en moins le noir, la chemise reste ma faiblesse et redonne un peu de vigueur à son corps un peu faible.
Nous étions arrêtés au milieu du trottoir, il nous a demandé quels sujets nous avions pris, si ça s'était bien passé, les politesses et la curiosité de rigueur. Je lui ai dit "on va avancer, peut-être que vous êtes pressé". Il m'a ensuite désigné de ses deux index et a introduit ses remerciements pour Lacrimosa par "je voulais pas vous traumatiser pendant vos révisions", livre que la classe lui avait officiellement offert mais dont il avait su que j'étais à l'origine du choix. Il venait de le finir, il me remerciait de lui avoir fait découvrir un nouvel écrivain, et il lira Microfictions, "j'ai eu quand même un peu peur au moment du passage fantastique mais elle le remet bien à sa place"; "oui c'est vrai, elle le casse". Puis il a bifurqué en direction de la boulangerie. Apparemment j'aurai juste le temps de l'entrevoir le 7 juillet, un peu comme cela se passait la majorité de l'année; sa silhouette qui en été comme en hiver n'avait de sens que devant le portail et avec une cigarette, c'est dans ce contexte qu'il semble contrôler les choses. Je crois que c'est en évoquant ce 7 juillet et en le regardant un peu plus dépoussiéré que d'habitude de sa fonction de prof, allant s'acheter un sandwich tout seul comme un grand, que je me suis rendue compte de ce qui était en train de se terminer. Il m'intéresse toujours autant et j'ai toujours autant l'impression de sérieusement le connaître, de le comprendre en même temps qu'il reste pour moi un terrible point d'interrogation que je désire détordre.

Mes doigts sentent encore le saumon fumé que je n'aime qu'avec les doigts, l'expérience m'aura appris que l'odeur s'imprègne de façon tenace mais manger demande une certaine dose d'insouciance sinon d'abandon. On mange comme mange les enfants, de ce point de vue rien ne change vraiment. Pendant que je mangeais ma mère a attiré mon attention sur le cierge et les deux petites icônes qu'elle avait dit qu'elle allumerait quand le matin même je partais pour mon épreuve. La crainte était surdimensionnée et je pense l'avoir réussie, seulement voir ce cierge et l'entendre dire "t'as pas eu une lumière pendant l'épreuve?" qu'elle supposait venir du cierge me déprimait dans la mesure où les lumières s'appelaient révisions et où je ne voulais pas attribuer à quelqu'un d'autre qu'à moi-même le petit fruit de mon travail.

jeudi 18 juin 2009


Notes d'une prissonière bachotante retrouvées gravées sur les murs de sa chambre et sur des morceaux de ticket de caisse.


La philosophie à ceci de fascinant qu'on tombe par hasard sur un texte au détour d'un lien ou d'un livre, tout est fait pour qu'on ne le lise pas, c'est le moment du pur hasard, comme si de rien n'était.
A sa lecture c'est le monde qui se renverse, s'orne du charme de la vérité, de l'illusion de moins. Illusion de moins qui ne tenait qu'à un lien plutôt qu'un autre ou à ce texte plutôt que celui-là. Nous venons chercher la philosophie, son austérité est son exigence, l'étape à franchir. Une fois l'étape franchie elle nous dévoile ce qu'elle a d'irrésistible, mais c'est un charme comme une ivresse et qui s'oublie parfois.

Il y a (avait) deux types de cours de philosophie. Ceux après lesquels je ressortais assurée de mon savoir et de ma compréhension, les idées claires et la tête pleine; un homme dans la rue aurait pu m'arrêter, me poser une question sur le cours que je lui aurai répondu et qu'il m'aurait tendu un bon point.
Puis le cours où la philosophie devenait un cercle dont je suis exclue, je ne suis plus à elle, elle n'est plus mienne, mon incompréhension se mue en haine, en dégoût, je ne veux plus la voir, je préfère la douceur des livres, la modestie de leurs vérités tremblantes à la rigueur de cette femme trop assurée de ses charmes.
On aurait pu faire en sorte que cette incompréhension soit sans enjeux mais tout repose sur elle du fait du choix de mes études, c'est la première fois de ma vie que je n'ai plus le droit de renoncer. Le renoncement, l'abdication me donne désormais envie de pleurer et pourtant à chaque instant je m'en sens capable, capable de retourner à la vie d'avant, de la conséquence zéro, du risque zéro; j'étais plutôt nase mais j'étais tranquille, aujourd'hui je suis submergée parce que l'ambition peut avoir d'aventure, de romanesque en sachet individuel.

Les matins de révisions je suis entièrement dépendante de ma douche et de mon café, si ne je les prends pas je me rendors pour la journée. En plus il commence à faire chaud et ma chambre est petite et la moquette, c'était comme si elle emprisonnait la chaleur. Quand il fait chaud, je ne sais plus quoi faire de ma vie.

Je me suis fait une raison, j'arrive à comprendre que le corps n'est pas voué à être propre et à sentir le gel douche, il transpire, il se rebelle, il s'enbaume lui-même et il ne faut pas trouver ça sale mais naturel.

J'étais en train de me laver les pieds quand Emile est venu à 2h du matin me demander de sa voix d'endormi-réveillé "tu peux m'héberger j'ai peur y'a des moustiques dans ma chambre", il a dit ça d'une traite. Je lui ai improvisé un lit entre le lit de ma soeur et le mien, comme on fait quand c'est les vacances et qu'on peut se permettre de faire la fête.

Mes journées de révisions se passent en deux temps:
1) je me félicite d'avoir autant réviser et je commence ma pause
2) je me punis d'avoir pris une si longue pause et je me remets au travail. Petit cercle vertueux.

Dans ma tête le rythme est aussi binaire:
1) confiance totale en mes connaissances sinon en mes facultés d'improvisation
2) doute de tout, panique, mal de tête.

Je me demande comment doit aimer mon professeur de philosophie, penser à sa vie est jusqu'à présent le plus grand exercice d'imagination qu'il m'ait été donné d'accomplir, disons plutôt de correspondance de l'imagination avec une vague idée de vraisemblance. Il a connu l'amour et même l'adolescence, alors qu'il semble être si définitif, si lui-même dans ce qu'il est à présent. il ne sort pas de nulle part et il est fou de penser que d'une personne étrange et qui subjugue je n'arrive à rien me figurer, plus que d'autres je veux dire. J'arrive à croire qu'il puisse venir de nulle part, mais contrairement à ce que l'on croit, personne n'est une apparition, et j'en ai conclu que mon professeur doit aimer comme Antoine Doinel. Il retrace du doigt, l'arête du nez, les contours du visage de l'être aimé. Ca me paraît plausible, je le vois le faire.

Je travaille l'après-midi dans ma cuisine, au début je me fixais des horaires à la fois pour me garantir un certain temps de révisions comme pour me limiter dans mon travail. En fin d'après-midi je fuis vers le Jardin du Luxembourg où je lis sur une chaise ou un banc. Dimanche il y avait un orchestre et deux coréennes qui papotaient derrière moi, en sortant je me suis achetée une glace au cappucinno avec la boule mal vissée sur le cornet et qui dégoulinait gravement, j'ai tout de suite regretté le choix du goût. Les deux marchands de glace qui se font face près de l'entrée du jardin ont une palette impressionnante de goûts, allant du muguet à la lavande en passant par je ne sais quoi, initialement je voulais du chocolat blanc mais la fille m'a dit qu'il n'y en avait plus -nos goûts sont prévisibles- aussi j'ai dû choisir vite et j'ai choisi non seulement le plus banal mais le plus mauvais. Le pire c'est que j'ai de la glace au café à la maison, je m'en suis rendue compte après. Ensuite je suis allée au cinéma voir le premier film de Martin Scorcese; un ravissement qui contenait tout ce qu'il me fallait : de la musique, du noir et blanc, des manteaux précieux.
Ca ne marche pas à tout les coups ces sorties toute seule mais il est toujours plaisant de constater que sa propre compagnie est suffisante, qu'on ne se désespère pas, c'est comme si dans le fond tout le monde était neutre et bon, agréable et conciliant et que par dessus cette substance se trouvait une épaisseur d'humeur qui pouvait faire qu'on se déteste ou qu'on s'adore, qu'on se trouve bien en soi ou non. Il y a ce dédoublement.

On ne sait pas vraiment pour les bancs. Si on a le droit de s'asseoir à l'extrêmité d'un banc déjà occupé en son autre extrêmité, si on a le droit de s'asseoir avec une personne assise en son milieu, est-ce que tout le monde à la même mesure de l'espace vital? Qu'est-ce qu'un banc occupé? Comment s'asseoir près de quelqu'un sans lui faire croire que je m'intéresse à lui? Et parfois c'est vrai. Parfois c'est faux. J'ai dû faire le tour du Jardin pour en trouver un totalement libre et ainsi ne pas me poser ces questions trop torturantes.

J'ai ma théorie sur les mugs de café dans les films américains. Il ne sont pas les champions pour tout ce qui est objets de quotidienneté au sein de la fiction, par contre ils aiment bien faire revenir un personnage des courses, surtout dans les séries, mais leur grand dada reste le mug de café. Do you want some coffee? Ca ils aiment bien, ça ils en ont besoin, comme si le personnage ne pouvait continuer le film sans sa tasse, cela ajoute ce petit côté de vraisemblance et de convivialité à toute situation. L'esprit Starbucks.

Je regarde trop les femmes, je les mate à mort. Il y a des femmes enrobées dans des robes très colorées et très distinguées, comme de gros cadeaux. Leur peau est uniforme et parfaite, presque virtuelle, pas d'égratinures, pas de signes de faiblesse si ce n'est au niveau des pieds et du talon, la cicatrice d'une cloque, d'une ampoule, bref, d'un pied malmené et qui contraste terriblement avec le reste.

Un jour je me suis rendue compte qu'on pouvait deviner la direction de mon regard à travers mes Rayban, elles ne sont pas assez opaques. Depuis je ne quitte plus mon autre paire, bien noire, bien large, qui englobe plus que le regard mais pas du tout à la mode, et achetée pour cela même. C'est un luxe inestimable que de pouvoir voir sans être vue, de pouvoir remarquer que les gens passent leur temps à vous remarquer comme vous les remarquez.

Je reste très au courant de la provenance des visiteurs de mon blog. Depuis un mois, une personne qui aime à taper mon nom et prénom sur google jusqu'à 10 fois dans la journée. Mystère et curiosité: que cette personne s'explique.

La veille au soir de l'épreuve de philosophie, j'ai tout oublié de la méthode de dissertation, je suis d'une tristesse crasse, dégoulinante, un besoin de dormir pour m'isoler comme un petit chat, je semble inconsolable, je ne m'étais jamais vue dans cet état.

Lundi je retrouve mes copines. J'ai l'impression de revenir de loin, du fond de mon esseulement. Qu'il est bon de parler de films d'horreur tout en mangeant une de ses salades préférées. Tout accablement mérite d'être partagé. Les révisions sont dures pour tout le monde et l'on comprend que c'est une peine qui ne peut se partager, elle est le moment de la solitude responsable. On ne peut donc la partager en l'allégeant mais la partager en comprenant que tout le monde en à une part égale, et que c'est un peu soulageant.

Après les révisions, je pars à la recherche de l'acte nul : lire un magazine dans les transports, me faire encerclée par des bambins de centre aéré touchants d'impolitesse, acheter une crème hydratante qui sent fort, sentir les pages d'un beau livre et consulter son prix en pensant qu'"un jour, je l'aurai", regarder une caissière désoeuvrée pensive à qui je dois répéter "c'est ouvert?", tenir une porte, observer une queue devant un cinéma, boire un Nestea sur une terrasse, ramasser quelque chose pour quelqu'un, prendre le bus dans Paris, n'importe quoi mais une fuite loin des cahiers pour dédramatiser et comprendre que la vie vit sa vie indépendamment de ces moments que l'on s'imagine déterminants.

Un bon site à fouiller de fond en comble:
http://pierre.campion2.free.fr/textes.htm

mercredi 10 juin 2009


C'est d'une tristesse paralysante que de voir son monde s'évanouir, s'effriter devant soi. Tout disparait de façon si claire, le monde bascule à la dernière heure de cours de terminale, je n'ai rien vécu d'aussi heureux que cette année de terminale. J'aurai vécu un an d'un bonheur indécent, entourée d'amies aimantes, de professeurs que j'aimais excessivement et sans conditions, une présence parentale quasi-inexistante, j'aurai vécu de confort et de travail, je n'ai manqué de rien, et si j'ai eu des problèmes ils auront tous été d'ordre introspectif, soit les plus beaux problèmes qui soient.
A présent j'ai le sentiment de devoir me soutenir toute seule pendant un certain temps. Mon professeur de philosophie allait dans le même sens que moi quand il disait qu'on aura passé une scolarité à voir des professeurs bienveillants qui voyaient en nous des possibles plutôt que le réel, avec le temps et la faculté on ne verra plus que le réel en nous. Je vais être jetée dans un monde sans charme, où personne ne sera là pour m'identifier.

Je passe le plus clair de mon temps à relire les Liaisons, à manger des cornets de glace au chocolat, à dormir et à travailler la philosophie et la géographie. Sur son site mon professeur de philosophie fait le décompte jusqu'au bac, il y a quelques temps on en était encore à J-20 aujourd'hui il ne reste plus qu'une semaine. J'ai en tête ces reportages sur le baccalauréat dans les JT et à la radio, il faisait si bon de ne pas y être, d'y être encore loin, la moindre distance temporelle offrait l'illusion que ça n'arriverait jamais. Aujourd'hui j'y suis et l'évènement n'est pas à la mesure de ce qu'on annonçait, en fait il prend une toute autre forme et se teinte d'une mélancolie insoupçonnée en cela qu'il se situe entre la belle année et un océan de jours libres, de vacances. Il n'y a rien d'autres à faire sinon se taire et passer à l'action, travailler jusqu'à un stade avancé de la fatigue. Le problème du bac c'est que ça fait beaucoup de solitude d'un seul coup.

Je ne pense qu'à une chose : aller au cinéma pour aplanir les révisions dans mon cerveau, pour digérer le réel.

Une fille de 18 ans qui parle de son bac sur son blog; je devrais m'arrêter là.

vendredi 5 juin 2009

Les chemises demandent à ce que l'on se tienne droit, elles ont une rigidité, un ordre, une symétrie et une forme à respecter, il ne faut pas s'avachir quand on porte une chemise, elle est le nouveau corset. La chemise est le vêtement de l'homme éveillé, réveillé, celui qui en remonte les manches sur ses puissants avant-bras, la chemise porte le travail en elle, elle est l'apparence du travail. C'est pour cette raison qu'on en croise autant à la Défense.

Le vendredi après-midi je perds le sens du réel. On prend la fatigue de fin de journée pour celle de toute une semaine, puis on attend dans une torpeur impatiente le bus, entourée du bruit prévisible des voitures allant et venant : c'est le silence de la ville, le silence la ville qui n'offre plus rien d'autres depuis bien longtemps, qui égalise tout. La ville est l'épreuve de trop pour la fatigue, elle est le lieu de la réaction, de l'homme éveillé, celui-là même qui porte une chemise.
Les membres sont abrutis, le dos voûté sous l'abribus, les discussions pâteuses. Dans la journée on hésite à programmer quelque chose pour la soirée, on anticipe la fatigue de l'après-midi, on se demande si les copines ont envie de commencer le week-end avec nous où si elles sont dans leur période de retirement, de "je suis contre tout". On ne peut se retrancher d'elle, elle est là et il n'est pas question de se dire "je dis ça parce que je suis fatiguée"; nous prenons la vision du monde qu'elle nous impose comme la seule valeur possible. 

Beaucoup de rancoeur à l'égard des voitures, de leur laideur définitive qu'elles tentent de dissimuler par des lignes élancées, des noms inventifs, des couleurs de cadavres, de ce qu'elles représentent : l'individualisme sous sa forme la plus éloquente, une petite boîte tout confort autour de son conducteur, un confort qui quand on y est, pousse à la haine de tout ce qui en est extérieur. On a l'air de rien dans une voiture et absolument rien ne la sauve.  
Quand j'étais petite je me concentrais sur la figure que leur conféraient les deux phares avant et le pare-choc, certaines avaient des têtes impitoyables, d'autres sympathiquement simplettes, comme la Twingo.

Pourtant je n'aime rien autant que les promenades en voiture, ce qu'elles permettent de combiner : le transport, une bonne température ambiante, la tranquillité qui caractérise tout ce qui n'est pas en commun, la musique, la radio que l'on veut. On regarde au-dehors de manière aussi impliquée qu'effacée, avec la bienveillance de l'observateur dont tout le monde ignore qu'il observe. S'il existe un lieu pour les morts il doit certainement ressembler à une voiture.

J'aime bien tomber sur mon odeur. Enfiler ma chemise de nuit et puis, dans le tuyau qui mène à l'embouchure, tombé sur une odeur, un mélange de déodorant, de transpiration nocturne, de gel douche, une odeur de présence. Avant je mettais au sale la chemise de nuit avant qu'elle ne sente quoique ce soit, maintenant j'essaye de me calmer concernant mon hygiènisme, j'essaye de m'accepter en tant qu'odeur...ma mère s'en rejouit.

Je n'ai jamais aimé Rock Bottom de Robert Wyatt mais la version que A. propose de Sea Song m'a convaincue de donner à l'album une sec...disons une troisième voire quatrième chance. C'est le genre d'album que j'ai honte de ne pas aimer tellement s'est constitué autour de lui un consensus de grandes personnes qui pensent inconcevable d'y voir autre chose qu'un pur chef-d'oeuvre. Heureusement A. me ferait tout aimer, il m'en offre une version qui restitue toute la profondeur qui manquait à la version de Robert Wyatt, de cette profondeur qui nous oblige à en consulter les paroles.
Sea Song - A.

mardi 2 juin 2009

"Salut Murielle,

Ton blog est très bien, mais ce serait cool de pouvoir mettre des commentaires.

Bonne suite"

:-)

lundi 1 juin 2009


J'ai racheté les Liaisons Dangereuses, je ne supporte plus l'édition GF trop imprégnée de scolarité, d'obligation. Je l'ai pris en édition Folio pour donner l'illusion d'une belle lecture achetée pour le plaisir malgré le bandeau insultant "BAC 2009". Je vais/dois le relire avant le bac. S'il vous arrive de croiser dans le métro une fille un peu honteuse de jouer le rôle de la lycéenne en terminale littéraire relisant un livre qui n'a plus de sens à force d'avoir été acheté, manié, commenté, insulté par des lycéens, ne vous gênez pas, criez "Murielle", nous irons prendre un café, comme aime bien faire la lycéenne.

J'ai tout noté des cours sur Pascal, peut-être à cause du fait que les Pensées ont été une des grandes lectures d'adolescence de Houellebecq qui disait qu'après l'avoir lu, il ne voyait plus que des squelettes à la place des hommes. L'image m'est resté et j'ai lu Pascal comme un écrivain on ne peut plus actuel.

Tout le monde "pari" sur le duo Shakespeare/Laclos. Quant à moi j'ai le pari pascalien.

Claude Chabrol est l'un de ses réalisateurs dont je n'aime pas les films mais que je continue d'aller voir dans l'espoir qu'il me plaise un jour. C'est comme s'il s'obligeait à toujours finir ses films de façon dramatique, il veut des armes dans ces films, coûte que coûte. Si le cinéma est le lieu de la vie transfigurée dans la vie transfigurée de Chabrol il y a forcément des armes, il n'y a que de grandes morts. Il aime le drame et il ne l'abandonnerait pour rien au monde. Si on enlève les armes alors ces films ressembleraient à du Rohmer. Peut-être n'assume-t-il pas de ne filmer que ce qu'il y a de plus volumineux, trivial encombrant dans la vie : la nourriture, les vêtements, les étudiants; bref tout ce qui nourrit l'oeuvre de Rohmer, alors il s'oblige à faire en sorte que X tue Y. En allant voir les Cousins je ne m'attendais à rien d'autre qu'à cela. Le film n'y échappe pas mais passé outre la jeunesse fringuante des années 60 qu'il est toujours agréable de regarder à cause de cette élégante insolence qui n'existe plus qu'en noir et blanc, c'est pour la première fois la brillance des idées s'enchaînant comme durant un face à face avec un ami, la beauté de la morale qui m'ont foudroyée sur place.

"tu as une peau d'allumeuse", je n'ai jamais autant compris une phrase et après la séance, près des quais de Seine, j'explique ce que j'entends par "peau d'allumeuse" à Cécilia, lui donnant des exemples du lycée.
J'ai un couple en tête, l'homme et la femme ont exactement la même peau, régulière, bronzé comme de la brioche, une peau pour crème solaire, pour traces de maillot, qu'on voit souffrir en direct sous les manteaux et la grisaille. Je comprends alors que l'amour connaît une nouvelle limite, un nouveau critère : celui de la peau. J'ai le sentiment que cette vérité aveuglante d'évidence me délivre de la plus grande des illusions; on finit de voir cette vérité exprimée partout, comme si elle avait toujours été là. Je me souviens avoir pensé à propos de quelqu'un et de sa quelqu'une "ils ont la même peau" et un peu plus loin "ils vont très bien ensemble". Sans me dire que c'est parce qu'ils ont la même peau qu'ils vont si bien ensemble.

A l'expo Valadon Utrillo je découvre qu'en fait la première, Suzanne Valadon, est la mère du second, Maurice Utrillo, et que ce n'est pas le nom d'un peintre comme le laisse croire les affiches. Ce dernier est d'un ennui mortel, qui plus est d'une vie antipathique, peignant principalement des églises, des chemins, des maisons et des ciels (seule chose qu'il réussit plutôt très bien) couleur plâtre. On en veut toujours à un peintre de ne pas rendre la laideur au moins fascinante. Mais de cet ennui crasse j'observe quelque chose de plus fondamental, symptomatique de toutes expositions: par ce principe même de l'accumulation, de la "collection", l'exposition mène forcément à l'indigestion, à la sur-fréquentation de l'oeuvre. Personne n'a jamais dit qu'une exposition devait être un inventaire. Mais peut-être que l'inventaire à des vertus pédagogiques nous amenant à comparer, à prendre en compte parallèlement à ses oeuvres, la vie du peintre, ses périodes. Comparer les tableaux de Maurice Utrillo c'est se rendre compte qu'ils se ressemblent tous, maladivement. Utrillo déprimé, alcoolique, interné, fauché, jaloux de sa mère, etc. Les commentaires sont biographiques jusqu'à l'obscénité, jusqu'à ce qui ne devrait pas nous intéresser.

Peut-être qu'il nous faut une certaine quantité de tableaux pour avoir le ventre rempli, le sentiment d'avoir "consommé" le peintre.

Ce que l'on pourrait reprocher aux expositions : la scénographie faisant tout pour mettre les oeuvres en valeur (ici pénombre + spot individuel pour chaque tableau) c'est l'effet inverse qui se produit : la majesté du lieu, le cérémonial éclipsent tout à fait l'oeuvre. Il faudrait faire des expositions dans des parkings, des cuisines, des magasins de fringues, des cantines.

Devant la beauté le regard ne sait jamais par où commencer.

A la fin de l'exposition j'entends :
-" j'admire de plus en plus Utrillo et je déteste de plus en plus Valadon
-pourquoi?
- j'trouve qu'elle a fait trop de mal à son fils."