mardi 30 décembre 2008



"Ils ont des vies. Tous. Chacun la sienne. Elles s'étirent à travers les murs du dancing, à travers les rues de Paris, à travers la France, elles s'entrecroisent, elles se coupent et elles restent toutes aussi rigoureusement personnelles qu'une brosse à dents, que le rasoir, que les objets de toilette qui ne se prêtent pas. Je le savais. Je savais qu'ils avaient chacun leurs vies. Je ne savais pas que j'en avais une, moi. Je pensais : je ne fais rien, j'y échapperai. Et bien je me foutais dedans."
L'âge de raison - Jean-Paul Sartre

Il y a eu ce mec, Laurent, 28 ans, qui a accosté Cécilia à la sortie de Blood Simple. J'avais prétexté des cadeaux de Noël à finir avec ma mère pour échapper à la séance mais c'était surtout ce sentiment qui nous fait intérieurement dire "qu'on me foute la paix, j'ai envie de rien" qui m'avait fait annulé. J'aurai été incapable de tenir une discussion, je n'avais rien à raconter, et on s'était vu l'avant veille pour The Big Lebowski. M'enfin je dis ça en étant consciente que je réussis toujours à raconter quelque chose, qu'il y a toujours à refaire quelques vieilles discussions, celles qui naissent de l'ennui. J'ai donc annulé, sur mon nouveau portable, un truc LG tout blanc tout tactile, avec un clavier tactile azerty pour taper les sms, c'est mon père qui me l'a acheté et ce serait pas exagéré que de dire que notre dernier sortie ensemble remonte à mon ancien LG. Ma mère devait faire un truc sans intérêt aux Galeries Lafayette alors elle m'a payé un Café latte super épais et m'a laissé là, adossée à la baie vitrée du café sur une longue chaise de bar, traversée par une tristesse qui se pointe quand aucun autre sentiment n'ose se manifester. Triste et fatiguée, gênée par la simplicité de la vie et le manque cruel d'action, gênée par tout ce que je ne suis pas. Je ne suis pas les couples, je ne suis pas les enfants devant les vitrines. Monsieur Delmas était déjà bien loin, sur un bateau, avec ma compile. L'esprit apprend à oublier les personnes trop absentes pour qu'il soit utile qu'on y pense, il comprend la souffrance de l'attente et décide de ne plus attendre. Monsieur Delmas ne manquait donc pas, paradoxalement il me manquera l'heure d'avant son cours, c'est à ce moment là que c'est toujours intenable.
Je me souviens, je buvais mon truc et je lisais L'âge de raison de Jean-Paul Sartre, acheté au hasard et qui s'est vite trouvé être un immense roman, cette espèce bien particulière de roman qui une fois fermé fait qu'on ne sait plus très bien comment aborder la vie, et qui nous fait intérieurement dire qu'il serait temps de réformer en profondeur notre façon de faire avec elle. On ne sait plus comment se comporter, on mesure le gâchis, on angoisse à l'approche du temps qui reste. Bref, un grand roman est un roman qui fait du mal, une "lecture engagée" comme j'ai pu le lire quelque part. Le lecteur engagé, terme paradoxal puisque ce premier est normalement considéré comme passif, c'est celui qui accepte de faire autrement et qui après la lecture finit par le vouloir.
Au même moment c'est la saveur du café qui me surprenait, j'étais sur mon petit nuage de qualité, qualité de la lecture, et de la boisson. Bizarremment je préfère les cafés dans les grandes enseignes que dans les petits cafés. Parce que
1) on peut choisir la quantité
2) le prix est imbattable et n'excède jamais les 3 euros.
Bien sûr je ne parle pas de Starbucks où je ne vais plus du tout, d'ailleurs, phénomène étrange, ça me rend tout de même triste de ne pas réussir à voir en ce lieu un antre de détente et de repos où partager le meilleur des boissons chaudes avec quelques amis cultivés. Quand je passe devant je ne vois qu'un endroit qui m'est interdit, qui me répugne presque, comme les nombreux écrivains que je n'aime pas et qui me sont donc eux aussi comme interdits. J'ai l'impression que les gens y boivent toujours la même boisson insipide fabriquée par mon esprit et qu'ils y parlent inlassablement du dernier film de Sofia Coppola. Puis les baies vitrées fait qu'on peut identifier la clientèle et je vois toujours cette même lycéenne à ballerines et à copines, ça me fait penser que le Starbucks est une sorte de café en mousse, de faux café comme il existe de faux bébé en plastique pour les fillettes qui veulent jouer aux grandes.
Donc non, je ne parle pas de Starbucks et de leurs prix mais du McCafé et de Alto café, l'endroit où je me trouvais, au premier étage du Lafayette Gourmet, pas loin du Body Shop et du Citadium, un endroit neutre où le concept ne prend pas toute la place et où les fauteuils ne sont pas profonds et confortables. J'emmerde les fauteuils profonds et confortables, je ne suis pas ce genre de personnes qui arrive à oublier tout ces soucis de la journée sous prétexte que sous ses fesses c'est confortable. Il est d'ailleurs presque trop facile de prévoir un Starbucks du futur avec des lits à la place des fauteuils, pour encore plus de confort et de papouilles en compagnie de votre boisson préférée, les gens mangeront allongés et s'étrangleront, le monde sera plus beau, plus pur.
Concernant le phénomène Starbucks on peut facilement lui trouver une explication : les gens aiment le Starbucks pour les mêmes raisons qui font que les critiques encensent les comédies pourries sous prétexte qu'"en ces temps sombres un petit film avec Danny Boum ne pourra que vous remonter le moral". Je vois bien le critique à table crier "Eurêka !" et dire à sa nana "les français sont déprimés, c'est pour ça qu'ils vont voir des comédies." Donc voilà, les "français" lisent des sous-romans d'amitié, vont au Starbucks, regardent des comédies, mangent des Ben & Jerry's devant leur série piratée préférée : parce qu'ils sont déprimés. CQFD.
Un jour j'ai vu une meuf avec un t-shirt Starbucks
Mais je parlais de Laurent, et de comment Cécilia m'a annoncé le lendemain qu'elle avait été accostée et qu'ils sont ensuite allés au Lutèce. J'ai subitement envié Cécilia, pour sa capacité à se faire accoster et qui n'est pas nouvelle. Un peu avant et toujours au Champo, elle était avec un ami et c'était un certain Quentin qui était venu leur parler, depuis ils sont amis.
Aujourd'hui, avec Internet, c'est comme si forcer le hasard dans la vie réelle n'avait plus sa légitimité et comme s'il fallait accepter de croiser par-ci par-là des personnes apparemment délicieuses sans jamais rien tenter, comme ça aurait pu finir avec Monsieur Delmas si un plus grand hasard encore n'avait pas fait de lui mon prof d'histoire géographie pour ma dernière année de lycée. D'ailleurs, parfois je me mets à construire des phrases commençant par "et si". Et si Monsieur Delmas n'avait pas été mon prof", je me dis ça, lui même nous répète qu'on ne refait pas l'histoire mais il y a des choses qui se jouent à si peu de choses près qu'envisager les autres possibilités est presque un devoir et prévisiblement, permet de se rendre compte de la chance que l'on a. Excessif ou non (de toute façon à son égard il a toujours été question de comportement excessif) penser à ce "et si" me bouleverse totalement, m'effraie comme si les jeux n'avaient pas encore été faits. Pourtant ils sont faits, et il est près de moi, et personne ne peut vraiment me l'enlever.
Mardi, je suis à Saint-Michel et je vais voir Barton Fink au Champo avec Cécilia. Avant de quitter mon appartement de Courbevoie je me suis souvenue de l'époque où elle cherchait partout Franny et Zooey, le genre de livre qu'on croirait facile à trouver dans une Fnac quelconque et qui se révèle être introuvable, comme les fois où vous partez à la recherche d'une fringue bien précise et basique et que vous ne la trouvez nulle part. Je comptais lui offrir mon exemplaire, pourtant il n'a jamais été question de cadeau pour ce Noël 2008, mais les circonstances faisaient que nous étions presque les deux seules (avec Julie) à rester ici et qu'on avait le vague sentiment que tout le monde était parti en voyage, Charlette à Singapour, Marie en Italie, Monsieur Delmas en croisière, et donc je me disais que le geste ne serait pas de trop et serait même bien vu. J'ai réfléchi, assez longuement, sur ce qui me poussait à faire une chose pareille, si c'était pour me réconcilier avec moi-même en ces périodes de mollesse générale et me persuader que je suis capable d'acte plus ou moins désintéressé ou si c'était pour me réconcilier avec Cécilia car je lui en voulais de perturber ma solitude avec ces rendez-vous qu'elle n'a jamais envie d'annuler par simple flemme. Les cadeaux assagissent les personnes, Cécilia a cru que le livre était neuf parce que je le lui ai donné dans un sac Fnac, même pas emballé, pour éviter tout cérémonial. Il y avait ce livre à offrir, et l'histoire de Laurent à me raconter en détails, et dans le genre détails, que demander de plus que l'apparition de la personne concernée. Il savait qu'elle serait là, avec une amie, ç'aurait dû le dissuader de venir s'il avait été normal. Il était grand, les cheveux d'un mélange de blond lui arrivant jusqu'aux épaules et lisses, il faisait nuit mais j'ai pu retrouver dans l'obscurité son slim noir, ses bottes vernies, son collier et sa veste de tailleur sur ce qui devait ressembler à un débardeur ou un t-shirt, moulant. Au premier abord, c'est ce qu'on appelerait un branché. Pas de sac sinon un livre, Entretiens de Cioran, qu'il s'est empressé de lui offrir, un point pour lui. Il avait aussi deux places pour nous, le malheureux a du débourser 12€ pour deux minettes UGC illimité, excès de zèle ou pas, ça nous a tordu le coeur et nous a convaincu de ne pas être trop rudes avec lui. Dans la salle, Cécilia, et je la comprends, était tiraillée par deux comportements :
1) se tourner vers moi et l'ignorer, 2) lui parler parce qu'il était là pour elle même s'il ne lui plaisait pas du tout. Quant à moi, Laurent était l'occasion rêvée de mettre en pratique mon ouverture d'esprit à l'égard d'un élément étranger, il faut d'abord ne surtout pas le juger comme on aimerait qu'il ne nous juge pas à nos 17 ans. Se dire qu'en 28 ans de carrière dans la vie, ces cours échanges avec lui au cinéma ne sont bien évidemment représentatifs de rien. Dans un second temps et si les blancs vous y invitent, s'intéresser à lui, sincèrement. Ces deux choses vont de pair, on ne veut pas le juger mais tout de même se faire une idée de l'autre et il nous faut donc quelques éléments. Les éléments recueillis sont : Laurent, 28 ans, "je travaille dans la musique", "plutôt pop". Ensuite, cruauté des petites salles, le film a subitement commencé et j'ai essayé de voir où est-ce que Cécilia avait décidé de mettre ses mains pour ne pas qui les lui prenne. Je pensais à leurs esprits à tout les deux, chauds de milles réflexes et de milles préoccupations. A l'attirance de Laurent répondait l'indifférence de Cécilia, à son désir d'aller plus loin, son désir à elle de couper court. C'était comme ça, un cruel interview où les réponses signifiées ne convenaient jamais à Laurent, lui trop brusque, elle trop réservée. Cet homme gênait un peu par sa "gentlemanerie" et ses bonnes intentions : le livre, les places, contrastant avec sa rapidité inconvenante, sa brusquerie qui consistait à coller Cécilia, à lui dire deux fois de suite dès la première rencontre qu'il a envie de l'embrasser et qui me faisait bien voir qu'il voyait en une fille seule au cinéma, une fille accessible, disponible. Cécilia a un mec mais n'a pas su caser quelque part cette information capitale pour Laurent.
Aujourd'hui, avec le recul d'une semaine, je peux le dire, il n'a pas récidivé, ni en mail, ni en rien du tout, "il a dû comprendre", comme me l'a dit plus tard au restaurant Cécilia. Bien avant qu'on se rende au cinéma il était question de faire autre chose après Barton Fink, seulement pour ne pas avoir Laurent dans les pattes on a fait mine de devoir partir et on s'est téléporté à Chatelêt, il m'a fait la bise en me promettant qu'il avait été enchanté de me rencontrer, comme si j'étais l'amie de sa meuf, je l'ai remercié pour la place, ça prouvait ma capacité à ne pas oublier ce qu'il avait voulu qu'on retienne. Au Rive droite, le café jaune et rouge comme des Lego, le large choix rassurant de la carte et en bande-son un lointain karaoké.
Il y a toute une "psychologie" de l'emplacement, au restaurant comme au cinéma. On peut le voir, ça veut dire quelque chose, j'en ai fait l'expérience :
Au cinéma les couples ont tendance à chercher un angle obscur de la salle, le plus souvent dans un coin au fond de la salle, ils éliminent au maximum tout point de vue sur leurs probables papouilles, personne derrière ainsi qu'un côté mort. Après c'est dur à expliquer puisque ce qui régit les emplacements au cinéma, c'est d'abord le meilleur angle de vue possible sur l'écran, alors qu'au restaurant, il est simplement question de flairer l'endroit où on sera le mieux installé. Si on refuse de se faire guider par le serveur on peut choisir de s'engouffrer au fond du restaurant ou plutôt vers la baie vitrée. Fond du restaurant pour plus d'intimité ou une discussion sérieuse, baie vitrée avec une personne que l'on connaît peu ou si la discussion n'est pas sûre d'être convenablement assurée et s'il nous faudra excuser notre silence par une contemplation de la ville au-dehors. Enfin vous voyez, toute cette réflexion n'en est qu'à ses balbutiements, je compte creuser ça plus sérieusement.
Je mange une salade, elle mange un truc avec du saumon, personne autour, un mardi soir, demain le 24 et l'impression d'être libre comme une jeune fille en vacances qui s'apprête à payer elle-même son plat et à rentrer seule en métro. Je pense à tout ce qu'on a dû traverser pour en arriver là, et encore pire, pour qu'aller au cinéma et au restaurant toute seule nous paraisse si naturel, comme un dû. Je ne trouve pas ça naturel, plusieurs fois j'ai vu la ville comme assez hostile pour mourir écrasée par une voiture, le monde assez bizarre pour mourir éclatée dans le métro, ma santé assez fragile pour me sentir condamnée à chaque nouveau rhume et si ce n'est pas moi qui suis en danger, c'est mes "proches", à chaque fois qu'ils sortent dehors, systématiquement insouciants, jamais aux aguets. Ce mardi j'étais là et aucun problème majeur en tête sinon le souci du bon équilibre de mes vacances entre loisirs et travail, j'imagine que cela devait être pareil pour Cécilia si ce n'est qu'elle avait en plus de son léger fardeau habituel celui d'un homme de 28 ans même pas amoureux à qui elle fallait faire comprendre qu'un quelconque jeu de séduction avec lui lui paraissait d'emblée fatigant. Elle m'a raconté qu'au moment où j'avais posé mes questions à Laurent elle se disait "oh merci Murielle", j'étais fière de moi, de mon comportement d'adulte.

Ce n'est que plus tard dans la semaine, juste après Noël et en attendant Les Plages d'Agnès que Cécilia répondra à Franny et Zooey par Lovecraft, Contre le monde, contre la vie, le seul Houellebecq qui me manquait, introuvable. Elle qui critiquait mon LG tactile venait justement de se voir offrir par ses parents un LG...tactile, un lien de plus entre nous. Après la séance, elle m'a donné un croissant que j'ai mangé en marchant vers le train tout en pensant qu'il s'agissait là d'un symbole fort : celui d'un tournant dans les vacances qui annonçait la presque parfaite interversion du jour et de la nuit. 21h, la journée pouvait commencer.

The Renegades - My heart must do the crying
ballade 60's pour les couples de coin de ciné

dimanche 28 décembre 2008

John Lennon
Richard Ford
Brian Eno
Marc Lavoine
Francis Ponge
Crystal Castles
Michel Houellebecq
Emile Joudet
jingle : Al bundy

RADIO VERNIS III

29 minutes 14

efficace en cas d'insomnie

jeudi 18 décembre 2008

Faire le Louvre


























"Le monde a beau être plein de gens qui se figurent vous avoir évalué au plus juste, vous ou votre voisin, ce qu'on ne sait pas est un puits sans fond. Et la vérité sur nous, une affaire sans fin."

La Tache - Philip Roth

Mardi soir j'ai passé la nuit à finir La Tache, sans trop d'intérêt au début, génial sur les cent dernières pages. En fermant le gros bloc beige de 450 pages il y a toujours ce bref moment de contentement où l'on se dit "encore un livre de terminé" jusqu'à qu'on enchaîne sur le prochain, ce prochain que j'ai tout de suite rangé dans mon sac et que j'étais pressée de lire en sachant pertinemment qu'il me décevrait vu les espoirs que je mettais en lui, Le chant des adolescentes de Richard Millet. Il était un peu plus de trois heures du matin quand j'ai posé ma tête brune sur le traversin, je craignais de ne pas me réveiller et de rater la trop attendue sortie au Louvre avec M. Franck et M. Delmas, ce que mon coeur considérait comme la sortie du siècle, ce que j'attends depuis un mois, ce que ma raison travaille à tempérer, à calmer depuis un mois, c'est cette excitation provoquée par l'annonce de ce quartier libre près de lui, entre les tableaux. Je n'espérais rien de précis, sinon le voir évoluer librement, comme un vrai homme parmi les autres et à plus d'un kilomètre d'une salle de classe, lui parler, tenter une approche ou plus simplement des blagues, des mots d'esprit, lui montrer autre chose de moi, voir autre chose de lui, se permettre une liberté de geste et de paroles, ne plus lever le doigt pour intervenir.
Je me suis levée en retard malgré mes cinq réveils (trois sur le portable, deux sur le radio-réveil) en retard par rapport à l'heure que je m'étais fixée : il ne me restait plus que vingt minutes pour me mettre en condition, me faire propre et me faire jolie. Je mélangeais tout : je buvais mon café dans la salle de bains, me brossait les dents dans la chambre en enfilant une botte. Ma mère m'a d'ailleurs engueulé parce que j'avais laissé la tasse dans la salle de bains et que ça faisait des auréoles, je pouvais difficilement lui répondre parce que j'étais en train de me brosser les dents, quelque part ça m'arrangeait, pour tout ce qui rangement et propreté elle a souvent raison, j'ai raison pour autre chose. Donc vingt minutes après j'étais dehors, coincée dans le bus, je lisais le nouveau livre qui se décompose comme les petites microfictions de Jauffret, une page recto verso pour chaque fille décrite, leur prénom pour titre: il compare leurs yeux à des océans, leurs chevelures à des crinières magnifiques, sources inépuisables de fantasmes, leurs seins sont pâles, elles ont 15 ans, c'est comme ça jusqu'à la fin, chiant, merdique, puant. J'ai cherché à voir si y avait pas le nom de mes copines, je n'ai trouvé que "Muriel" et mon deuxième prénom "Eliane", pas Marie, ni Julie. Dans le bus, l'équilibre du corps tenant sur peu de choses je me suis dit qu'après 7h30 c'est un fantasme que de vouloir être à l'heure quelque part, j'aimerais prendre une fois dans la semaine le bus et le métro sereinement, sans commencer à penser aux secondes qui me séparent du retard.
Dehors ça crachait, je me suis alors dit que les filles allaient m'attendre sur le quai du métro et c'était vrai. Cécilia portait son bonnet gris et l'écharpe qui va avec, ils sont tout doux à la vue, ça lui fait une tête comme un petit lapin de 12 ans. Il y avait aussi Charlette, elle portait son jean dans ses bottes, Charlette et Cécilia portent rarement autre chose que des pantalons patte d'eph' avec des chaussures à talons. Elles ne voulaient pas encore de mes croissants Pasquier achetés la veille, elles ont fait cette tête qui veut dire "j'ai trop mangé, pas maintenant" alors que je leur avais dit de ne pas déjeuner. Finalement avec le recul que me permet le moment de l'écriture je pense qu'on a bien fait de les laisser pour après, après la visite on était bien contente de se souvenir qu'il nous restait des croissants. Je suis allée chercher Julie qui attendait dehors sous son parapluie violet, on a croisé Augustin et Marie-Laetitia alors on a pris le métro avec eux, c'est dans le métro que j'ai croisé une nana qui avait le même vernis bleu marine que moi, le Dior. Je suis retournée à ma lecture pour ne pas prendre le risque de provoquer une once de concurrence dans le regard de celle que je considérais comme mon alter ego, ce détail nous rapprochait incontestablement. Heureusement c'est à ce moment-là que Julie est venue m'offrir un stylo en remplacement de celui qu'elle pensait m'avoir cassé la veille et que je venais d'acheter la veille, elle m'a dit "j'étais gênée", je la croyais, notre amitié ne pouvait que repartir sur de saines bases, le métro aussi.
Il fallait être au Passage Richelieu à neuf heures, le prof de philo n'arrêtait pas de le répéter,"neuf heures, j'ai dit neuf heures", on sentait qu'il avait là encore ses idées concernant la ponctualité et que le retard devait être à ses yeux inadmissible, peut-être autant que tricher en sport. Le passage Richelieu est réservé aux groupes scolaires, on dévisageait chaque paté d'élèves pour y distinguer un visage, un prof, un élève, quelqu'un qu'on connaissait. Notre groupe était retiré sur le côté, à peine cinq, la silhouette noire de l'aimé en face d'eux. Je pense avoir plus souvent vu Monsieur Delmas de dos que de face, je ne me lasse pas de le voir de dos, je ne me lasse pas d'un homme comme lui, je me demande comment les autres arrivent à le voir comme quelqu'un de normal, à le regarder sans aucun bouleversement du corps ou de l'esprit. Leur mettre Monsieur Delmas devant les yeux c'est comme emmener des adultes à Disneyland, impassibles devant l'incarnation du merveilleux, l'amoureuse est une fois de plus entourée d'incompréhensifs. Mon bonnet noir s'arrêtait au niveau de mes paupières, je fais toujours bien gaffe de l'enfiler avant mon écharpe pour qu'il se coince dedans et c'est dans cette méconnaissable tête d'hiver que je lui ai dit "bonjour" avec le sourire radieux de la sincérité. La suite consistait à attendre les autres, parler aux copines, faire comme si le simple fait de l'avoir hors de vue le faisait disparaître, le rendait absent, c'est ensuite lui qui est venu à moi :
Murielle, je vais pouvoir enfin écouter votre compile,
il ne l'a pas encore écouté, il me dit que sa compagne lui a acheté un machin pour écouter de la musique, je lui demande,
mais vous pouviez pas avant? sur votre ordinateur?
il me dit que non, que c'était pas terrible pour écouter et se déplacer en même temps.
Il sort tout doucement le machin de sa poche, c'est un Itouch, je le prends dans mes mains, je crois que c'est moi qui lui a demandé s'il l'avait sur lui "vous l'avez là?", s'il pouvait le sortir "je peux le voir?", "oui bien sûr". J'ai l'objet brillant entre les mains, il est éteint. Impuissante, je lui demande de me l'allumer. Je regarde les chansons, les copines sont autour, j'imagine qu'il faut glisser le doigt comme ça, vers le bas ou le haut, c'est lisse, ça coule comme de l'eau, c'est minéral. Je tourne la machine pour regarder le nombre de gigaoctets, je sais que c'est écrit derrière, ça je sais. Il me montre comment bien faire défiler les chansons, on se passe la machine, elle semble être attirée par le sol, elle glisse comme un savon entre les mains, vloup vloup. J'essaye de me souvenir de la première fois que j'ai vu un Ipod, je sais plus, je sais que j'aime le premier I-pod, le tout gros tout blanc, les autres ne m'impressionnent pas du tout, les fuschia, les nano, les je sais pas quoi, trop moches. Mais le gros tout blanc, lui il restera. Je lui dis d'acheter un étui pour le protéger, Julie était d'accord, il me dit "ah ouii c'est vrai", je lui dis "parce que sinon vous allez le rayer". Il comprend, il le fera, et il écoutera mes chansons, je lui dis que j'espère qu'elles lui plairont, que si elles lui plaisent pas je sais pas quoi faire pour lui, qu'elles devraient lui plaire, normalement, je dis ça en regardant l'écran, comme si j'avais une chose à faire. Le prof de philo arrive, j'imagine qu'il faut que je lui rendre l'appareil, je fais hésiter mon doigt sur l'écran et je finis par le lui rendre "tenez je vous le rends, je sais pas comment ça s'éteint". Monsieur Franck porte un pantalon beige, je jurerai que c'est la première fois qu'il le porte, dans sa tête ça doit être son pantalon décontracté.
On attend longtemps ici, dans le passage Richelieu, parce que M. Franck a des manips à faire pour qu'on puisse entrer, on reste là avec Monsieur Delmas, je sais que je lui ai parlé de ses mains gercées, je lui ai dit
vous avez les mains gercées,
il me répond
nan mais c'est parce que j'ai essayé de faire du bricolage
nan mais en dehors des blessures, vos mains sont trop gercées, elles sont toutes rouges, faites attention
je vais pas non plus mettre de la crème tout le temps
franchement si, moi j'en mets et ça change trop...enfin vous faites comme vous voulez
silence gêné de la fille qui a trop observé, qui en a trop dit, il ne m'aidait pas et j'avais peur.
Monsieur Franck est alors revenu, marchant vers nous avec son élégance philosophique, on rigolait un peu, on prenait un ton solennel pour annoncer son arrivée, j'ai sorti "Monsieur Franck, automne/hiver 2008", les copines ont rigolé, Monsieur Delmas a rigolé, il était d'accord avec mon humour, peut-être qu'il m'aimait. Concernant ce qui est arrivé au Louvre, de 9h30 à midi, difficile de prétendre à la fidélité, j'aurai voulu filmer, prendre des photos, enregistrer, garder quelque chose de ce robinet ouvert à fond de paroles et d'impression ou de manque d'impression, la perplexité face à Mona Lisa, les "pourquoi vous aimez Botticelli?", le crâne caché dans le tableau de Leonard de Vinci, la peinture hollandaise, le plafond d'une salle peint par Matisse que j'ai remarqué puis fait découvrir à la classe, les remarques ironiques de Monsieur Delmas devant les fresques de Le Sueur trop moches, les "vous pouvez vous asseoir" quand les élèves étaient fatigués et moi qui pour rien au monde voulait abdiquer, me reposer, quelle idée, le "Monsieur je vois pas le mystère mélancolique" devant un tableau de Watteau. Le Louvre est le moment de la curiosité pure, de la déambulation, le moment des questions, de nous face à l'art comme on aurait pu être face aux étoiles, l'infiniment petit devant l'infiniment grand, l'infiniment actuel devant l'infiniment vieux, j'ai dit à Julie "le Louvre c'est le choc des générations". J'y repense à cette matinée et je regrette déjà la douceur du silence et de l'attention, le tableau qui accroche le regard et finit par attirer vers lui tout le corps, on ignore devant quoi il faut vraiment s'arrêter, l'histoire de celui-là, le prix de tel autre, les symboles de je ne sais quelle fleur, on aime les couleurs, on trouve que "c'est bien peint" comme dit Monsieur Delmas pour rigoler un peu et puis c'est tout, on aime les tableaux comme des enfants aiment les coccinelles. En passant par les salles pleines de petites figurines et de gadgets préhistoriques en vitrine j'ai dit à Monsieur Delmas "on dirait le BHV, vous savez le sous-sol avec tout les clous", j'ai pas vu son visage, j'ai pas vu s'il avait compris, il a fait silence, ça m'a angoissé parce que je sentais ma blague super drôle, même Julie a dit que c'était drôle quand j'ai couru lui raconter pour me rassurer à propos de mon humour. Quelques heures après en marchant vers la sortie j'étais à côté de lui, je lui ai d'abord demandé s'il avait deux tableaux à me conseiller et que je pourrais comparer pour le devoir à rendre en philo puis insensiblement la conversation est devenue plus générale et sur un ton que je voulais neutre et calme
vous avez fini le Jourde et Naulleau?
Nan, pas l'temps, pas l'temps, j'ai pas l'temps, (là je l'ai regardé dans les yeux, je m'en souviens) je le finirai pendant les vacances
nan mais c'est pas grave, je demandais juste comme ça
et vous vous l'avez fini?
oui,
après on parle de la différence entre les chapitres écrits par Jourde beaucoup mieux que les Naulleau,
oui parce que Jourde il commente les textes alors que Naulleau il les introduit et fait de longs paragraphes, je trouve ça lourd, Jourde c'est ludique, divertissant, ça se lit vite.
il est d'accord
mais je le finirai pendant les vacances
et vous écouterez la compile
et j'écouterai la compile
ensuite on a parlé de l'Ipod, de pourquoi j'en avais pas, de pourquoi j'aimais me trimballer une chanson toute la journée pour la retrouver chez moi le soir, il faut ressentir le manque de la musique pour encore l'apprécier, pourquoi l'Ipod c'est pas bien pour ça et pourquoi je pensais aussi que ça fera toute une génération de sourds, pourquoi ça c'est facile à prévoir, c'est pas difficile à imaginer, la génération de sourds.
et puis vous savez le plus souvent on a la musique dans les oreilles mais on l'écoute pas forcément
il est d'accord
il me dit
alors pour vous, la satisfaction immédiate du désir de musique, c'est régressif?
...oui, voilà
vous devez avoir raison
je pense que j'ai raison
j'ai eu très peur de le dégoûter de son Itouch fraîchement acquis, je passais pour la rabat-joie, comme dire à une fille que la mode serait au gris quand elle vient de s'acheter un manteau rose. Je me demandais si ce nouvel objet avait un rapport avec sa nouvelle montre apparue la veille, s'il fêtait Noël avant tout le monde, je connais des gens qui font ça, ils fêtent Noël avec leur famille qui habite loin et reçoivent des cadeaux en avance.On est allé chercher nos manteaux contre le froid dans la grande bassine à roulettes prêtées pour l'occasion, j'ai eu le geste de trop, je l'ai su depuis le début mais encore maintenant je le revendique pleinement, j'y vois l'innocence et la gentillesse incarnée, la preuve de l'amour maladroit, maladroit comme on fait tomber 10 assiettes par terre sans raison, ce qui a dû me démasquer à ses yeux : j'ai exhumé sa besace du gros tas de manteaux d'hiver et je la lui ai donné. Voilà ce que j'ai fait, j'ai fait ça et en même temps je me disais "quel putain de culot ma grosse", et le prof de philo a vu faire, et j'étais foutue malgré son "merci Murielle c'est trèès gentil", il aurait pu ajouté "grosse conne" que ça m'aurait paru normal. Le pire c'est qu'il y avait encore son parapluie coincé entre les manteaux, ce que j'avais fait n'avait donc servi à rien sinon à m'enfoncer un peu plus dans la guimauve de la groupie.
Les deux profs nous ont plantés là, je les imaginais rigoler gentiment de moi "alors la petite Murielle?", j'imagine que leur intelligence leur exclue toutes formes de méchancetés, tant mieux pour moi. Pour mes Copines il était question de trouver un endroit où manger après les croissants qu'on venait de gober. Opéra un mercredi midi, j'ai dit à Julie "ça me fait bizarre d'être ici à cette heure précise, un mercredi", elle n'était pas d'accord, ça n'était pas bizarre.
C'est après le déjeuner au PatataCafé, un restaurant où je me souvenais être allée avec ma mère et où nous venions de manger des choses chaudes et délicieuses que nous nous sommes divisés en deux groupes : Cécilia et Charlette direction la Défense, Marie, Julie et Moi direction le Jardin du palais Royal où m'attendait ce que A. voulait que j'aille voir et qui l'avait ému. Le jardin semblait être dépourvu de toute nouveauté et ce n'est qu'en marchant que nous avons pu distinguer les étranges silhouettes de loups figés dans l'air frais d'une capitale en hiver. La fontaine coulait dans son coin au milieu de rangées d'arbres noirs et secs, comme blessée dans son amour-propre, dans ce qu'elle est par définition : un spectacle aquatique et superbe, banalisé par son usage trop courant, écoeurant d'un romantisme facile et primaire. Nous nous sommes prises en photo, conscientes de ne pas avoir assez de photos de nous, de ce que nous étions et qui était parti pour changer tout de suite après que la photo soit prise.

vendredi 12 décembre 2008

































Mercredi nuit j'ai rêvé que j'achetais un paquet de chewing-gum, le vendeur était gentil, je lui ai demandé s'il avait pas autre chose que goût menthe et il m'en a sorti un autre goût fraise. Avant ou après j'ai rêvé de A., j'ai oublié le scenario mais je sais que j'ai rêvé à trois reprises de lui et qu'à chaque fois ça me mettait curieusement en émoi, je n'y retenais que son corps troublant qu'on devinait sous ses vêtements, le corps masculin comme on l'évoque dans les magazines féminins, intimidant, protecteur, source de fantasmes. J'y ai pensé pendant les premières heures de la matinée, j'ai repensé à lui, j'avais envie de le voir, je ressentais le désir d'avant à portée de main. Finalement il n'a jamais changé il ne m'a jamais déçu, il n'y a que moi et ma façon de m'agripper avec les griffes à des hommes profondément inaccessibles.
Jeudi il y avait le conseil de classe et on avait prévu d'aller tout de suite après au restaurant pour que je leur fasse le bilan. Au début il était question du Lutèce mais les filles avaient la flemme d'aller jusqu'à Saint-Michel un jeudi soir, on s'est rabattu sur le virgin café des Champs-Elysées, j'aime bien cet endroit, je le trouve neutre, j'y suis allée avec beaucoup de personnes. On a finit les cours à 16h, le conseil était à 18h10, on venait d'avoir français et les filles pensaient traîner au centre commercial avec moi pendant au moins une heure. Charlette voulait des élastiques et la Nouvelle Heloïse, Cécilia devait acheter un labello à la fraise. En marchant vers le métro on a croisé la prof de français qui venait de nous faire le premier cours sur les Pensées de Pascal. Je portais mon bonnet, elle m'a frotté la tête en disant "heureusement y'a pas de dreadlocks là-dedans", je crois que le look des jeunes l'effraient un peu, elle nous rapporte souvent ses trouvailles dans le lycée, du style un jogging avec marqué "hello kitty" sur les fesses et qui l'avait particulièrement effrayée. Elle ne sait pas trop comment gérer ça.
Une fois les filles parties je savais que j'allais les revoir aujourd'hui et il me restait une heure à tuer. J'avais très mal dormi, il me fallait un endroit où me poser et me reposer, prendre un café, lire le chapitre du livre sur lequel on bosse en anglais renforcé parce que je me voyais mal travailler après le restaurant. Le Mcdo de la Défense est unique, tout neuf, à peine deux ans, très grand, cosy si vous voulez : partout il n'est question que de profondes banquettes marrons ou blanches disposées autour de tables blanches ou marrons ou sinon de tabourets de bar perchés devant de longues surfaces blanches pour les mangeurs solitaires, les gens osent largement manger seuls au mcdo. Passer devant le Mcdo c'est s'offrir à la vue de ces personnes seuls qui mâchent devant la baie vitrée, des deux côtés de la vitre on craint de croiser le regard de celui qu'on regarde, regard vitreux dans la baie vitrée. J'aime ce mcdo parce qu'on n'y est pas dérangé, qu'il est immense, d'une décoration improbable pour un mcdo, qu'on s'y sent dans notre coin, échappant à l'attention des employés, ce qui est impossible dans un café normal. On peut travailler, y rester deux heures avec les copines, boire 20cl de cappucino pour 1,20€, des pains aux raisins, des mcflurry, des salades, des macarons, des flans, c'est bien. Il était 17 heures, c'était calme, pas trop de monde, je pouvais largement prendre une table pour quatre avec Marie alors que mercredi à midi on avait fait l'expérience de manger face à des gens qui attendaient qu'on parte pour pouvoir le faire à leur tour. Bondé donc. J'ai pris un cappucino, j'ai demandé au mec du Canderel, il ne m'en a passé que deux alors qu'il m'en fallait trois mais j'avais des réserves dans mon sac, je crois que je dois penser à me racheter un petit distributeur, ça m'évitera de flipper ou d'utiliser du sucre normal.
Marie n'est pas resté longtemps aussi quand elle est partie j'ai pris une place face à la baie vitrée. Quand vient la nuit on a le privilège de pouvoir se voir distinctement en surimpression sur la nuit, on se regarde dans les yeux. Le chapitre était facile à comprendre, écrit dans un style assez dégueulasse mais ça n'avait pas d'importance puisque j'allais voir M. Delmas un jeudi : ce qui en temps normal n'arrive jamais. J'ai jeté le contenu de mon plateau (trois sticks de canderel éventrés, un cappucino, le set du plateau) dans les grandes poubelles "Merci", je suis allée aux toilettes me laver les mains, me regarder dans les yeux, me préparer mentalement, j'angoissais un peu, n'ayant aucune idée précise de ma moyenne générale je me faisais une vague idée de mes moyennes dans chaque matière, comme des taches mouvantes prenant la forme de 8 ou de 11. Tout pouvait arriver, on pouvait mettre l'accent sur mes absences, sur mon absence de moyenne en espagnol et ma triche en sport qui m'avait valu un 4, on pouvait tout faire de moi.
J'ai pris le métro, prévoyant de l'avance de peur d'un imprévu que je sentais imminent et parce que ces temps-ci il ne faut pas faire confiance à la ligne 1 particulièrement capricieuse. Le RER A ne marchait pas et tout le monde s'est rabattu sur le métro, on était assez serré pour que 1) je ne puisse pas m'asseoir, 2) je ne puisse pas lire. Prévisiblement des gens commençaient à se plaindre et comme des gens sont autour les plaintes finissent par s'adresser à celui qu'on regarde dans les yeux, vers qui on tourne sa voix et des discussions sont entamées. Une fille m'a demandé si ça faisait longtemps que le métro était là, j'ai dit 2, 3 minutes, c'est elle qui m'a dit pour le RER A, elle s'est plainte, une autre fille considérait que vu les circonstances elle pouvait entrer dans la conversation, j'aimais bien sa tête, elle tenait un livre de Jonathan Trooper, je sais que Julie en a lu un, ça devait être Le livre de Joe, Julie lit plusieurs fois les livres, beaucoup plus que deux fois.
Le métro ne décollait pas et n'était qu'à moitié éclairé, "hors ligne", c'est tout ce que j'ai réussi à entendre. Un bébé chialait, les deux nanas m'ont fait comprendre que c'était de trop, je trouvais ça aussi de trop mais j'ai dit "je pense que la mère est beaucoup plus énervée que nous, ne l'accablons pas", elles ont discrètement rigolé. Un bébé qui pleure ça prend aux tripes, ajoutez à ça la perspective d'un retard au rendez-vous du siècle, j'ai tourné la tête vers la vitre pour pouvoir me calmer, respirer calmement, la tristesse me gagnait à l'idée de rater le conseil, de décevoir les professeurs. Avec mes deux nouvelles copines on a parlé des problèmes de métro qu'il y a eu pendant la semaine et qui étaient toujours causés par des humains : suicide, malade dans la rame. La nana sans livre m'a dit qu'elle n'y croyait pas du tout, elle disait "de toute façon RATP/SNCF c'est...", "pour y avoir travailler à une époque de ma vie...", "ils disent toujours...mais...", des choses comme ça.
J'ai pensé à toutes ces nanas malmenées, défraichies, fatiguées par le trop-plein de transport et qu'on trimballe d'une banlieue à la capitale, j'en avais deux devant moi, je les voyais bien faire toute la ligne pendant que je descendais comme une fleur au bout de deux stations. J'ai dit "bonne soirée" à la fille au livre, l'autre était déjà passé à son I-pod. L'énervement a fait place à l'appréhension, respectant plus que de raison certains de mes professeurs je ne pouvais faire autrement à l'idée de tous les voir réunis. Je ne suis pas arrivée en retard, je suis arrivée en avance, le conseil des 1ère L était encore en cours, j'ai parlé à Lucia, il y a eu beaucoup de retard, j'ai vu les déléguées des 1ère L sortir : jogging, Ugg, doudoune vernis (grand retour de la Montcler, "hors de prix"), sac siglé, overdose et accumulation d'objets de mode sans aucune tentative d'harmonisation, c'est pas ce qu'on pourrait appeler une "relève". Et oui, quand on rassemble tout ses efforts dans son look c'est dur mais normal de ne juger qu'à partir du look. Les jugements faits sont proportionnelles aux efforts fournis par la modeuse.
Je suis entrée dans la salle en même temps que Monsieur Delmas, bonjour + sourire sincère, je pense que mon sourire et ce qui me trahit le plus, sans le voir je l'imagine excessivement sincère, contrastant beaucoup trop avec mon expression précédente et souvent endormie. Sur la grande table ronde je ne pouvais rien tenter, il me fallait me mettre à côté de Lucia, la suivre, tout se passe très vite quant au choix des places mais je savais que la table ronde faisait que où que je sois je pourrais le voir, c'était l'essentiel. J'étais loin de lui, à son complet opposé. Je portais ma chemise blanche à quadrillage serré bordeaux, du vernis bleu marine, j'avais volontairement fourni ce que j'estimais être un effort, je n'aurai certainement pas porté cette chemise si je n'avais pas été sûre de le voir aujourd'hui. Il portait une chemise blanche avec un gilet noir zippé et ses lunettes. Il semblait si sage, si effacé, si loin de ce qu'on peut voir de lui en cours, parfois je le regardais mais le fait de le regarder de si loin voulait dire que j'avais choisi de le regarder, je le fixais deux secondes, puis je continuais d'écrire. Je crois pouvoir dire qu'il me regardait parfois mais sans intention, comme on pose prévisiblement son regard sur une personne en face de nous depuis une heure. Seul le prof de philo parlait, les autres ne disaient rien mais pouvaient émettre des objections, ça allait très vite, je m'étais demandé à quoi ressemblait mon prof de philo si peu expansif en conseil au milieu des autres profs, il est un peu plus goguenard mais fidèle à sa discipline qui consiste à ne dire que l'essentiel, jamais rien de trop, quatre phrases pour chaque élève, c'est ce mystère qui lui confère son prestige, son charisme, mais pas que ça, cet homme est un tombeur.
Je sais comment tout ça fonctionne, ce qu'on éprouve au moment de son nom, "Joudet, Murielle", ce qui se dit sur nous et en notre présence, une occasion tellement rare. "Elle s'intéresse à beaucoup de choses, on sent qu'elle aime lire, qu'elle aime écrire..." par contre le sport "puisque qu'elle a triché", "c'est inadmissible". Il m'a regardé dans les yeux. Je devenais la Tricheuse, j'avais envie de m'expliquer, je pensais à M. Delmas. En terminale tricher c'est plus qu'une bêtise, c'est moralement incorrect, ça veut dire quelque chose sur la personne et sur ce qu'elle est capable de faire. Aïe. J'ai essayé de ne rien exprimer, je n'ai rien exprimé.
Je suis sortie en même temps que M. Delmas, il voulait ouvrir la porte pendant que j'étais derrière, la salle est petite, j'ai bougé, puis c'est le dossier d'une chaise qui maintenant gênait et qu'on arrivait pas à bouger, on a lutté pendant cinq secondes en rigolant, "on est coincé, hi hi hi". En sortant il avait décidé de me parler, on sentait dans le temps qu'on prenait à fermer nos manteaux, à mettre nos sacs en place, un moment d'hésitation, ne pas agir avant que l'autre n'agisse, ne pas le brusquer, le laisser décider pour ne pas regretter ce qu'on aurait fait de trop mais prendre le risque de faire des choses en moins. "Alors j'ai appris que vous avez triché?" sourire pour montrer qu'il s'en fiche, qu'il m'aime toujours, ah ah. Ca me rappelait un an plutôt M. Paillat qui s'étonnait exactement en ces termes de mes absences "j'ai appris que vous étiez souvent absente", précisément.
J'ai répondu :
vu comme ça ça paraît monstrueux mais c'était rien, en fait j'ai regardé ma montre en endurance et on avait pas le droit
mais on peut tricher en sport?
oui, parce qu'en fait y'a un temps à respecter et donc en regardant ma montre je trichais
ensuite il m'a raconté que lui aussi il trichait, qu'il se planquait et qu'il ressortait après.
Lucia marchait avec nous
il dit
michel houellebecq il aurait jamais triché en sport.
ouais michel houellebecq il faisait pas sport du tout je pense, avec sa petite santé fragile
lucia dit : vu comment il fume aussi
moi : vous savez qu'il a arrêté de fumer?
NAAAN? c'est pas vrai?
si si, je vous jure, j'ai vu ça à la télé, chez picouly
mais pourquoi?
bah parce que, il a des problèmes de santé et il doit vraiment arrêter
mais ça existe pas
comment ça?
arrêter de fumer pour des raisons de santé
(rires)
...vous verrez.
il rigole un peu
Ici s'arrêtait notre conversation et j'ai marché jusqu'au métro avec la majorité des profs autour de moi, chacun tripotait son portable ce qui faisait que personne n'était obligé de se parler, drôle de situation. Lucia avait son blackberry, M. Franck son Iphone, moi ma grosse merde de LG Chocolate qui ne me paraitrait pas démodé si je n'avais pas cette horde de petits bijoux technologiques autour de moi. J'ai toujours attendu que mon père me propose de changer de portable, je n'ai jamais rien demandé, il lui faut des points carré rouge.
Comme je devais aller sur les Champs-Elysées j'ai pris la direction opposée à celle qui est normalement la mienne, ça me faisait faire le trajet avec tout les profs. Mon prof de philo habite dans le Marais (à ce qu'on m'a dit) et M. Delmas à Saint-Germain-des-Près. Lucia va jusqu'à Porte Maillot pour ensuite aller à Suresnes. Mon prof de philo m'a vu derrière lui et m'a tenu le battant qui suit le tourniquet. On a pas voulu les déranger et on s'est arrêté en début de quai pour pouvoir leur laisser la place de partir loin, ils se sont mis à côté de ce qu'ils devaient juger être deux portes après la nôtre, quand le métro est arrivé ils se sont rapprocher de sorte à ce qu'ils n'étaient plus qu'à une porte de la nôtre, mais il y avait trop de monde et on ne pouvait pas les voir, c'est après que Lucia soit partie que j'ai réussi à distinguer la voix de M. Franck et un bout de sa veste verte. C'était impossible de lire avec M. Delmas pas loin et le métro qui s'arrêtait au milieu de chaque station suffisait à me faire croire que j'allais passer la nuit ici, coincée avec mes profs, une aubaine. Je suis sortie de mon wagon, mes copines se sont jettées sur moi, elles voulaient voir M. Franck dans le métro, ça faisait un groupe de cinq demeurées attendant sur le quai. On est parti manger, pour faire durer le suspense elles n'ont pas voulu que je parle avant qu'on ne commande. On a pris des hamburgers super bons, Marie et Julie ont commandé des mi-cuits pour le dessert.
En rentrant chez moi, le sac encore plein de cahiers, de livres, je me demandais si M. Delmas était capable d'affecter un comportement normal en sachant tout de mes sentiments, puis j'ai pensé à moi qui feignait l'indifférence pendant ces cours alors que je cramais de l'intérieur, bien sûr que c'était possible, de jouer la comédie. J'avais sacrément envie de prendre une douche et de dormir. On se lève le matin sans savoir qu'on va passer tout ce temps dehors, à bouger, à parler, à travailler, quand on rentre on sent la matinée très loin derrière nous, on n'y retrouve rien sinon les grosses pantoufles Muji et le lit défait. La fatigue du soir rejoint celle qu'on éprouve le matin, elle boucle la boucle en quelque sorte.

Le lendemain, ma mère m'accompagne en voiture jusqu'au métro, je vois une femme prise dans les embouteillages crier seule dans sa voiture. Je dois m'acheter un nouveau cahier de philo, un mec fixe un jeu de Wii dans la vitrine du virgin, je le choisis bleu turquoise, je paye et je pars, ils ont de nouveaux sacs chez virgin. Une vieille dame me demande si c'est bien le quai de la ligne 1, qu'elle a rendez-vous ici, qu'elle va au Centre Pompidou avec un groupe, j'ai pensé "aller au musée le matin", j'étais en avance alors j'ai relu le livre d'anglais renforcé sur le quai, en sortant un mec un peu louche demandait du feu à un autre, puis lui dit "vive la résistance ! Pensez à tout les résistants mort pendant la guerre !
et le mec de répondre "y'en a trop".

J'ai pris les escaliers en même temps que M. Delmas, j'étais tellement heureuse de le voir. J'ai dit plus tard à Julie, assez sérieusement mais tout en jouant mon rôle de pétasse énamourachée que quand je parlais à M. Delmas je sentais qu'on était mutuellement ému, façon "je te retrouve, mon amour", et je trouve ça tellement beau. Et elle m'a dit "on dirait une collégienne", mais j'estime qu'on aime toujours comme une collégienne. Je lui ai dit bonjour, il m'a demandé :
alors la course à pieds?
oh non monsieur, pas ça,
ah là c'est parti pour l'année
c'est bon, je suis cataloguée...si moi je suis la Tricheuse, vous vous êtes le Macho
ouais mais moi je suis vraiment mysogyne
...ouais je vous comprends, parfois moi aussi j'ai mes élans mysogynes
ouais je vous comprends
(rires)
à toute à l'heure Monsieur
à toute à l'heure.
Dernière heure de cours, la classe a énervé M. Delmas, mais M. Delmas ne sait pas exprimer son énervement, on le sent juste triste et ça m'est insupportable de le voir comme ça, il est énervé mais n'ose pas gueuler, il est doux, doux en toutes circonstances, doux quand il dit "c'est pas grave", extrêmement doux quand il dit "j'étais énervé mais maintenant c'est bon, je peux expliquer". Quand la classe énerve M. Delmas ça m'énerve, je me dis que comme il ne sait pas s'énerver il ne faut pas l'énerver, voilà ce que je me dis, ne pas lui rappeler qu'il ne sait pas s'énerver. En sortant j'étais super en colère, énervée, je voulais sincèrement rentrer chez moi. J'ai acheté le nouveau Pariscope, je suis rentrée chez moi, je venais de recevoir le nouveau Technikart et un gilet que j'avais commandé il y a trois semaines sur La Redoute, long, épais, marron. J'ai mangé des tomates farcies, des barquettes de Lu trois chatons à la fraise, j'en avais mangé au chocolat à midi, 1,40€ les deux paquets Leader Price, on s'était partagé les sachets avec les nanas, super bon, M. Delmas n'aime pas le chocolat. Je me suis endormie devant "Un dîner presque parfait".






Megapuss - Crop Circle Jerk '94

lundi 8 décembre 2008


Ce n'est que depuis mon lit que j'ai le sentiment de contrôler le monde: livres, ordinateur, coca, télécommande télé + chaine hifi, couverture, George l'ourson fluo, c'est depuis ce rectangle moelleux mais ferme que quand le week-end arrive je me "ressource", comme aurait pu le dire une mauvaise pub Center Parc. Dehors il fait froid et on s'ennuie dans les transports, ici il fait chaud et on apprend des choses, on poursuit des lectures, le frigo n'est pas loin, internet est une mine insensée. J'ai passé une bonne partie de mon week-end dans mon lit, à regarder d'anciens "Ce soir ou jamais" en pensant à ce qu'on aime à appeler "la télé du futur", l'émission de vendredi dernier tenait du buzz : Catherine Deneuve en invitée, suivi du groupe Justice, un groupe d'electro assez connu, Romain Gavras et So_me leur graphiste, une confrontation qui sur le menu intrigue énormément. J'ai aussi continué la Tache et le Jourde et Naulleau que BibliObs et Dimitry m'ont fait découvrir presque simultanément il y a quelques semaines. Le ton du livre me fait penser au deux bouquins sortis chez Scali avec un an d'écart et dont j'ai toujours voulu parler sans en trouver le lieu : le premier Petite encyclopédie de la vie merdique en Grande Bretagne, et le deuxième La merde mondiale, lus pendant les grandes vacances 2007 et 2008. Je cherchais pour mes vacances des livres joyeux tout en voulant éviter livres de blague et BD sur les blondes, des essais divertissants mais pas débiles. Fût un temps où la maison d'éditions Scali en sortait beaucoup jusqu'à qu'elle s'abaisse à publier le livre de la mère de Houellebecq et un livre sur N.S. et C.B., ah et aussi les livres de Boris Bergmann, mais ne nous énervons pas.
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Monsieur Delmas nous a conseillé en milieu de cours de lire "Et si c'était niais?", quand il commence à digresser le plus souvent il s'autorise à ne finir qu'avec la fin du cours. Il s'est ensuite moqué de Christine Angot comme le font 99% des hommes qui ont essayé de la lire. Le cours de littérature contemporaine se poursuivait : il nous a raconté qu'il passait tous les jours devant le Flore et que l'autre fois il avait vu frédéric bgbd en terrasse, essayant de voir si les gens le reconnaissaient, "j'ai dit au Flore, c'est Bgbd ou moi. Depuis, je bois du café soluble...et je pleure", parodiant en même temps Angot. C'est entre deux reprises de souffle que je lui ai parlé du Jourde et Naulleau, il m'a demandé de lui écrire le nom sur un bout de papier, en le lui tendant Alexia a dit "elle vous a écrit son numéro". A plusieurs reprises je l'ai vu ne pas rigoler à ce genre de blagues d'abord innocentes et qui deviennent délicates et gênantes quand il décide de ne pas en rire. Depuis le début de l'année, que ce soit de la bouche d'Alexia ou d'Augustin chez qui c'est devenu une tradition, ces blagues m'ont toujours concernée, me prenait toujours pour cible, jamais il n'en a rit, il a toujours fait en sorte de les ignorer et ça me faisait me poser des questions, n'importe lesquelles.
- On peut se dire que voila un sujet sur lequel Delmas ne rigole pas et tient à être clair, on ne mélange pas élève et professeur, toutes allusions en devient alors douteuses, dangereuses.
- On peut aussi se dire que Monsieur Delmas a déjà eu des problèmes avec ça et que ces boutades ne font que lui faire revenir douloureusement à l'esprit quelque chose qui ne peut que s'oublier totalement ou réapparaitre violemment, sans juste milieu.
- Enfin, on peut aussi se dire qu'il est au courant pour tout ça, mon blog, mes sentiments, et que ça le gêne énormément et qu'il préfère ne rien faire paraître parce qu'il ne sait toujours pas comment réagir, comment gérer ma connerie.

A partir de là, le lundi en noir et le mardi en bleu

Tout à l'heure la proviseure nous a convoqué Lucia et moi, les déléguées de la classe. Elle voulait nous demander de remercier l'ensemble de la classe pour l'aide apportée à Sophie, une fille de ma classe qui pour des raisons qui lui appartiennent n'arrivent que trop difficilement à prendre ses cours. Ca m'a fait raté une demi-heure de géo, la proviseure s'est beaucoup trop épanché sur son cas, dépassant largement les limites de la décence, frôlant la confession. Les proviseurs parlent toujours trop, je me souviens qu'au collège Monsieur Valette était une putain de pipelette, que rien ne pouvait l'arrêter sinon lui-même ou la sonnerie annonçant la récréation. Plus il parlait plus ça le rendait sympathique, voilà le seul avantage qu'on pouvait y voir. Je me souviens aussi qu'en 3ème il m'adorait et avait sa façon à lui de me considérer comme une sorte de personne à qui il pouvait parler normalement, un peu moins qu'une égale. Bref, la proviseure était bavarde et à partir du moment où j'avais compris la raison de notre venue j'avais du mal à dissimuler mon impatience face à ses papotages superflus, j'ai essayé de me faire violence et de me dire : "ne pense pas qu'à toi, écoute ce qu'elle dit, tu es déléguée, rater un autre cours ne t'aurait rien fait, tu rates un cours de géo et non pas un rendez-vous avec Delmas", mais les faits étaient là : Monsieur Delmas me manquait, je ne le verrais plus que jeudi au moment du conseil, la proviseure me retenait pour rien.
A l'idée que la torture morale prenne fin j'ai été particulièrement souriante au moment de partir, j'ai dit plusieurs fois "bonne journée", plusieurs fois "au revoir", et il n'y avait plus que Lucia qui me retenait de courir jusqu'en salle 208, courir m'installer à côté de Julie, l'écouter, le fixer jusqu'à ce qu'il me regarde, mourir devant ses petits yeux polonais, partir à contrecoeur, tout ça.
Avant de s'installer on a parlé à la classe, debout à côté du bureau, on a dit "la proviseure vous remercie" et les choses qu'il fallait dire. Sophie n'était pas là, à chaque fois qu'on a besoin de parler d'elle, de faire le point sur sa situation elle n'est jamais là, c'est fou. Je me suis assise, Julie m'a dit "j'ai plein de trucs à te raconter", comme à chaque fois que je rate quelques minutes du cours de Delmas et que des choses se sont dites sur moi. Cette phrase m'excite plus que de raison, elle me susurre cette phrase et elle ne dit plus rien ensuite. L'envie de parler est trop forte mais les choses doivent être rapportées clairement et fidèlement alors on a pris l'habitude de communiquer par écrit au crayon à papier. Le plus souvent ça se passe dans la marge de mes cahiers, on écrit de sorte à ce que l'autre ne voit pas ce qu'on rédige jusqu'à que ce soit fait jusqu'au bout puis on fait pivoter le cahier pour que la personne puisse lire, on attend une réaction, on dit "t'as vuu". L'histoire, allant de Julie à moi va maintenant de moi à vous :
J'avais prêté mon cahier de philosophie à M. Franck, mon prof de philo, il l'a passé à Monsieur Delmas pour qu'il me le rende. En classe Augustin lui a demandé ce qu'il faisait avec mon cahier de philo, ajoutant "elle l'a laissé chez vous". A ce qu'il paraît la classe a pété de rire, lui s'est appliqué à ne rien exprimer malgré le sous-entendu bien gras qui aurait dû le faire réagir, à la limite le mettre en colère. J'étais donc rentrer en classe avec une sorte de petit statut de victime, la classe partageait un secret à mon sujet. Il est rare de savoir ce qui se dit de nous en notre absence et Julie m'a raconté la chose avec un sens du détail que ce genre de situation réclame, quelque part elle m'aide dans mon amour et dans les choses que je rate et qui s'y rapporte. Lundi elle l'a vu fumer devant le lycée et elle m'a dit "il est beau", je lui ai demandé "ah ouais tu le trouves beau?" elle m'a répondu, "nan mais je me mets à ta place et je le trouve beau". J'ai trouvé ça parfait, c'était tellement compréhensible. Je suis sortie de la classe, Augustin et Marie-Laetitia se sont jettés sur moi, "j'ai fait une blague pendant le cours, je suis désolé", "ouaais je suis au courant, c'est pas grave". Dehors il neigeait, ce qui nous a fait hésiter au moment de sortir nos têtes sèches du préau, Marie et moi étions excitées, Julie blasée comme une adulte, seulement l'excitation n'a duré que le temps d'un flocon sur une plaque chauffante et une fois seule à Courbevoie j'ai considéré la neige se posant sur mon écharpe rouge comme un évènement d'une beauté simple et silencieuse. Une neige avec laquelle je n'avais pour une fois pas envie de jouer.


Monsieur Delmas a réussi à caser furtivement, toujours en milieu de cours, qu'après avoir lu ce que je lui avais envoyé sur Florian Zeller il avait demandé à sa compagne de lui acheter le Jourde et Naulleau. Julie et moi n'étions pas assises à nos places habituelles, c'est à dire tout devant à droite mais deux rangées en arrière, ça nous destabilisait carrément, on payait pour le caprice d'Amélie et Lucia qui avaient décidé de voir ce que pouvait être la géo depuis nos places. J'étais dégoûtée, et c'est depuis ce qui me semblait être le fond de la classe que je lui ai demandé "c'était drôle hein?" il a acquiesé avec cette tête presque nostalgique du moment où il avait rit, je l'avais prévenu dans mon mail "c'est à se rouler par terre" sans avoir l'impression d'exagérer mais en insistant bien pour l'inciter à cliquer sur le lien. Ca avait donc marché, il n'avait pas répondu à mon mail mais il m'avait lu et il avait même acheté le livre, j'ai mis du temps à m'y faire, je mets du temps à m'y faire. Ensuite on avait deux heures pour manger et Marie nous invitait chez elle pour la première fois, on a mangé des pennes dans le salon avec de l'eau dans des verres en plastique, les filles ne voulaient pas de la télé en mangeant, on a dû se contenter du tintement des fourchettes et de nos discussions, du gros chat obèse qui passe ses journées seul, je me souviens plus de son nom mais Marie l'appelle "Choupette" alors qu'il mériterait de s'appeler Edouard ou Socrate. Pour le dessert on a eu droit à des cookies-brownies Carrefour. Quand tu vas chez quelqu'un il y a toujours plusieurs produits venant d'un même supermarché/hypermarché, par exemple je sais que chez moi la plupart des aliments de base viennent de chez Auchan, la famille de Marie était donc une famille Carrefour. Toujours se méfier des familles Monoprix.
Retour au lycée pour le sport, nous portions toutes ce même jogging féminin et informe pourvu d'aucun élastique aux extrémités du bas, vendu la plupart du temps bleu marine pour ne pas trop nous dépayser du jean. Au handball on s'est donné comme qui dirait "à fond", jusqu'à que de l'eau apparaisse sur nos membres, j'ai cru mourir d'une crise cardiaque juste au moment où Cécilia me proposait d'aller au goal. Augustin était planté derrière le but, il me parlait de mes notes de géo, je lui ai dit que j'avais eu deux 14/20, il m'a répondu "aah c'est bieen", je lui ai dit "ouais et toi t'as eu un 17...aaah c'est bieeen hein" ironiquement, puis je suis retournée empêcher la balle de toucher le filet, c'était ma mission, peut-être qu'Augustin me matait les fesses, je crois que les mecs font ça même si ça m'a toujours semblé bizarre, inutile et source d'aucun plaisir, je dis ça parce que j'ai essayé.
Monsieur Delmas corrige très lentement mais vendredi il s'est fêlé deux côtes en voulant éviter d'écraser un chat et n'était pas venu en cours, l'annonce de son absence m'avait démoraliser comme jamais. Il m'avait écrit la raison de son absence dans un mail qui m'informait de sa présence lundi et que je devais communiquer au reste de la classe. Au début je pensais à un chat qu'il avait voulu éviter en voiture jusqu'à ce que Julie me raconte que non, c'était chez lui, et donc "à pieds", et qu'en plus de ça il avait eu droit à une semaine d'arrêt maladie qu'il ne comptait pas prendre. C'est à ce moment précis que je me suis demandée quand est-ce que ce type comptait arrêter d'être si parfait, si bouleversant, parce que moi ça me bouleverse.
Je suis rentrée en bus avec Marie, il faisait nuit, j'étais très très fatiguée, ce qui me rendait toute sensible à l'environnement extérieur, aux guirlandes de Noël qui faisaient comme de gros colliers en or dans le ciel, je pense avoir déjà tout dit des guirlandes de Noël. Marie s'est acheté une baguette, je me suis mise derrière elle pour ne pas passer pour une cliente au regard de la caissière. J'ai regardé les gâteaux et les tartelettes, leur prix me semblait raisonnables et Neuilly plus sympathique. J'ai demandé à Marie avec quoi elle comptait la manger, elle m'a répondu "avec de la soupe potiron/carotte", j'ai dit que c'était pas bon. "Et tu vas manger la baguette toute seule?", elle m'a raconté que certains midis elle mangeait toute la baguette à elle toute seule : elle se faisait deux hot-dog et le reste elle le mangeait avec du beurre. J'aurai pu passer la soirée à l'écouter parler de ses habitudes alimentaires. En rentrant elle comptait se faire un grand verre de lait, je lui ai dit que c'était mignon, elle m'a retourné la question, que comptais-je faire : "bah moi, mmh, prendre une douche, dormir, et puis aussi boire du coca".
Fidèle à mes propos, après ma douche j'ai effectivement bu du thé et du coca, il me restait un peu de mousse de gel douche sur l'orteil. Je me suis endormie à 19 heures pour me réveiller vers minuit en partie à cause de la lumière de la lampe de bureau qui m'éblouissait et parce que j'avais enfin besoin d'évacuer les litres d'eau bus pendant le sport et qui m'empêchait de dormir sur le ventre, je suis allée manger un yaourt à la fraise et une orange, et je me suis rendormie jusqu'au lendemain. Je comptais porter mon nouveau haut en mousseline blanc crème à motif cerises. Ma soeur se demande encore comment je fais pour trouver des trucs pareils chez H&M, Julie le trouve horrible.

The Doors - Wishful Sinful

vendredi 5 décembre 2008

En ce moment des choix sont à faire, entre ce que je vais offrir pour Noël et puis mon orientation, l'un des choix est plus important et lourd de conséquences que l'autre, je vous laisse trancher.
Dimanche je suis allée au salon de l'étudiant avec Marie, Charlette et Augustin, le sentiment général que suscite ce genre d'endroit est assez contradictoire avec ce que l'on recherche : la désorientation. Puis aussi la fatigue, l'irritation, le découragement, voici que tout le monde cherche la même chose que nous et que tout le monde semble être plus ambitieux et plus doué. C'était aussi l'occasion de croiser des gens de mon âge, mes collègues, je n'en vois pas souvent ou en tout cas pas autant en même temps, c'était l'occasion où jamais de les saluer un peu. On s'est lancé dans une molle recherche d'études littéraires, préférant suivre Augustin en mangeant des petits beurres et en lançant des vannes dans tout les sens, Charlette a eu la formule qu'il fallait pour rendre compte de nos aspirations, "la bouffe, les mecs, éventuellement les études...". Les étudiants d'école de commerce étaient prévisiblement habillés de polo aux couleurs de leur école, propre sur eux, beaucoup de cheveux, et puis d'autres étudiants d'écoles un peu plus obscures nous imploraient du regard quand on avait le malheur de s'approcher de leur stand, la vie est injuste. On est reparti de cette grande fête foraine de l'ambition avec notre paquet de feuilles colorés là où on voyait la majorité des gens avec des sacs plastique plein de paperasses d'une durée de vie moyenne d'une semaine. Charlette a fini par avoir mal à la tête et je ne savais pas qui était à l'origine de quoi : ma fatigue physique à l'origine de ma lassitude ou bien le contraire. J'ai fini la soirée dans le lit d'Emile a regarder Tanguy, c'était rigolo même si c'était dur de passer à côté des défauts inhérent à la deuxième vision. Je ne m'inquiète pas trop pour l'avenir, je veux dire, en temps qu'élève médiocre il a forcément des raisons de s'inquiéter mais je ne m'inquiète pas, j'ai seulement peur d'être triste plus tard, je peux vivre avec moins de confort, mais je ne veux pas de tristesse. Et puis je trouve ça mauvais de prévoir des choses dans un futur un peu lointain (ok, 6 mois) et qui dépend sensiblement d'autres facteurs, même si je sais qu'il faut que je me décide cette année. C'est comme Indochine qui prévoit un concert en 2010: d'ici là des choses peuvent arriver, il serait plus sage pour tout le monde de prévoir des choses pour le week-end et de s'en tenir à cette limite là.

Vendredi soir je suis allée à l'anniversaire d'Alice, qui lit ce blog, amie de Juliette, qui lit ce blog aussi, on se lit nos blogs. Je les ai toujours discrètement suivi sur internet, j'ai connu Alice, ensuite j'ai connu Juliette, et avant de les rencontrer j'ai fait les choses dans le désordre en rencontrant leur ami Dimitry qui est devenu un ami en moins d'une semaine. La première fois que nous nous sommes vus j'avais peur et nous sommes allés au cinéma voir "la femme est l'avenir de l'homme", la deuxième fois j'avais moins peur et nous sommes allés voir "la vie moderne". Pendant 5 minutes Alice était là, assez fidèle à tout ce que j'avais pu imaginer mais avec toujours ce morceau qu'on oublie de calculer, qu'on se prend dans la gueule et qui n'est autre que la réalité de la personne, d'un corps, d'une voix. Elle portait un bandeau et des converses, un sac plastique avec deux bouteilles de coca light, elle m'a donné un carambar au citron, c'était un geste très doux et que j'approuvais, elle devait partir rejoindre son copain. Je me suis sentie nase devant elle parce que j'avais refusé de la voir une semaine plus tôt et qu'elle ne le comprenait pas. J'avais très simplement peur de la voir et je voulais m'épargner des journées d'appréhension et d'angoisse, j'aspirais à de la tranquilité pour mon week-end, j'avais alors passé mon samedi seule, j'avais marché, je m'étais achetée des trucs, puis j'avais fini par un cinéma, ça avait été une journée neutre comme la Suisse, sans histoire. La saveur du week-end me revenait peu à peu en bouche, cinq jours avait réussi à me la faire oublier. Pour elle se voir c'était l'aventure, ça ne devait pas faire peur, bien sûr elle avait raison et ma peur crasse avait tort, d'avoir agi comme une gamine me déprimait.
Ce vendredi, la flemme de fin de semaine me guettait et j'essayais de peser le pour et le contre, de savoir quelle sorte de risque je pouvais prendre à aller à l'anniversaire d'une fille que je ne connaissais pas. Disons que si on établit une liste d'évènements avec à côté le nombre de mois de connaissance de la personne qu'il nous faut pour assister à ces évènements
exemple :
mariage - 5 ans
pendaison de crémaillère - 2 ans
anniversaire - 1 an et demi
et bien je ne connaissais pas assez Alice. L'anniversaire fête l'existence d'une personne aussi je ne me sentais pas assez proche d'elle pour me permettre l'audace de lui dire par ma présence "merci d'exister" et tout de suite ce qui me venait naturellement à l'esprit était que j'allais "taper l'incruste", et ne connaître personne, et m'ennuyer, et j'avais l'impression d'avoir perdu l'habitude de tenir une discussion tellement ça faisait longtemps que j'en avais pas eu une, je me sentais comme un ballon de baudruche en fin de vie, inapte à la fête, je me sentais vulnérable avec encore un pied sinon l'esprit encore dans la semaine, un mélange de copies doubles et de café. C'est à moitié habillée que je me disais tout ça, debout dans ma chambre, puis Alice à eu le mot qu'il faut, par sms, "ne te pose pas les mauvaises questions". J'ai voulu agir comme j'agissais avant : vivre ce qu'il y avait à vivre, puis écrire, c'était ma discipline. Je me suis un peu maquillée, je lui ai trouvé deux livres au Virgin de la Défense, j'ai demandé une pochette cadeau à la fille et j'ai rejoint Dimitry sur le quai du métro Saint-Lazare.

Avec Alice on s'est dit que les rencontres faites via internet ne sont que depuis très récemment admises comme de vraies rencontres et qu'avant on avait honte de dire "je l'ai rencontré sur internet", aujourd'hui on ne fait plus la différence, internet est un terrain de rencontres comme les autres, ce n'est plus original, le moyen s'estompe. De mon côté et depuis mes 13 ans il est mon unique moyen de m'approcher des gens sans trop les effrayer, on peut prendre son temps, on peut choisir, je n'ai jamais eu la sensation d'un risque ni de quelque chose d'impersonnel, de froid, certains disent ça mais ils ne savent rien. Pendant la soirée, en regardant Juliette, en regardant Alice, je me suis demandée ce que je pouvais prétendre connaître d'elles et pourquoi au fond de moi je pensais les connaître et ce que représentaient leurs écrits que je lisais par rapport aux journées entières qu'elles vivaient loin de moi depuis 18 ans et qui m'étaient cachées, qu'est-ce que leur blog disait d'elles, qu'est-ce qui légitimait ma présence ici, pourquoi cette indéniable connivence, ce respect qu'elles m'inspiraient. J'avais conscience de l'extrême fragilité de ma présence chez Alice, c'est à dire dépendante de nombreuses choses, d'un nombre incalculable de choses : de Juliette qui lit Technikart puis le forum de Technikart puis mon blog puis qui le dit à Alice, puis on se parle, puis des mois passent, puis Dimitry laisse un commentaire sur mon article parlant de Gatsby le magnifique, puis je réponds, et il répond, et je réponds puis on continue de se parler par mail, on se voit, je vois Alice, puis mon humeur du vendredi soir, puis Alice qui décide de m'écrire de ne pas "me poser les mauvaises questions". Vertige.

Ce qui m'avait frappé dans les quelques photos que j'avais pu voir de Juliette c'était la couleur flamboyante de ses cheveux, un peu iréelle, pas assez fade pour des cheveux. En face de moi elle était méconnaissable à mon travail d'imagination. Elle portait une robe avec des rayures horizontales noires et grises, des collants noirs à rayures verticales je crois et qui avaient tendance à s'éclaircir au niveau des genoux quand elle s'asseyait, mais c'est normal. Des bottes plates en daim gris plutôt clair. Elle a les expressions qui vont avec son visage, on peut se demander qui du visage ou des expressions s'est adapté à l'autre. Un haussement de sourcils légèrement ironique, une voix très posée et très polie mais là encore aussi très ironique, quelque chose dans l'allure qui tient d'une sorte de dandysme féminin, elle me faisait penser à Agnès Jaoui, mais avec les jours qui passent et parce que j'y ai réfléchi je lui trouve le regard de Virginia Woolf. Parfois elle m'appelait par mon prénom pour me servir à manger où me situer sur la table et la façon qu'elle avait de prononcer "Murielle" me troublait à chaque fois, on sentait qu'elle n'était pas habituée à ces syllabes, on sentait un effort spécial et charmant. Tout en elle transpirait la bienveillance , dans sa façon de me servir, de mettre Chromatics ou Crystal Castles, j'avais l'intime conviction qu'elle était comme ma mère, notre légère différence d'âge devait y être pour quelque chose, parfois un mois de décalage suffit pour nous faire sentir qu'une personne est plus âgée. Alice et elle me faisaient toujours très subtilement participé aux conversations, la table était naturellement scindée en deux, d'un côté les garçons et de l'autre les filles, je mangeais un peu et j'avais conscience de ce qui se passait, je voyais les choses, je comprenais l'étrangeté de la situation mais ça me paraissait logique, ça devait arriver. A un moment Juliette m'a parlé avec extrême justesse de mes études, elle me voyait faire de la philosophie, pas des études de lettres, je m'ennuierai, mais de la philosophie, à cause de mon esprit analytique, c'était comme si elle parlait à ma place, tout était très vrai, ça m'a tué, j'aurai pu l'embrasser.
La tarte tatin était bonne, des milliards de tranches de livres nous entouraient, je m'amusais à regarder les titres, j'ai mis quelques jours à me remettre du nombres de livres que j'avais balayé du regard, Juliette se coloriait les mains avec le bout d'un bouchon de liège brûlé, ses mains étaient noires, ça m'a fait pensé à Agathe Cléry et quelques secondes après elle disait "Agathe Cléry, elle est blanche, elle est raciste, elle va devenir noire", ensuite elle a cassé une flûte à champagne et elle a saigné du bout des doigts, ça ressemblait à un rite de purification, quelque chose dans le genre. Dimitry ne parlait pas et restait la plupart du temps seul, je suis restée toute la nuit chez Alice et très tôt dans la soirée je me suis rendue compte de la perfection de tout ce qui m'arrivait, de l'enchaînement des évènements, des discussions, des personnes présentes, de la musique, du lieu. J'ai vu la chambre de ses parents, la pensée que des endroits pareils puissent exister sur la terre est réconfortante, Alice a un très grand lit, je sais pas pourquoi j'ai toujours cette petite vidéo mentale et inventée d'elle en train de se jeter dessus après une journée de travail. Elle m'a fait visité son appartement, au moment de la salle de bains je lui ai dit, devant la montagne de produits qui s'accumulaient près du lavabo : "han j'adore ce genre de trucs, je peux rester des heures devant", elle m'a dit "ouaiis, bah évite, j'ai pas envie que tu saches tout mes secrets", elle m'a aussi dit que la frange ça obligeait à l'immobilité, j'étais d'accord.
J'ai le souvenir parfait des 5 heures du matin, Alice dort, on voit sa culotte noire sous son épais collant, on est plus que 5, une personne pour chaque heure si vous voulez, je ramasse les verres et les assiettes, le lave vaisselle est grand et à la lueur d'une petite lampe je les empile les unes derrière les autres avec le souci de bien les mettre toutes parallèles, sans provoquer de décalage. Dimitry m'aide, la soirée nous a éloigné, c'est le moment du bilan, on parle de Michael, le copain d'Alice qui restera comme la personne m'ayant demandé le plus sérieusement du monde si j'avais déjà couché avec ma soeur. Je lave la grande surface blanche, creuse et lisse d'un plat, ça me détend, je suis en caban, Dimitry est derrière moi.
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