vendredi 28 mars 2008

Je me souviens de mon enfance et de ma mère qui aimait nous faire des oeufs au plat qu'on mangeait avec du pain libanais, une bouchée pour ma soeur, la suivante pour moi, certaines fois ma mère s'accordait une bouchée mais ça avait le don de nous énerver, on ne pouvait l'imaginer qu'en train de donner et d'offrir, l'idée qu'elle puisse prendre, se servir, était difficile sinon inconcevable. Parfois sans le faire exprès, en approchant le bout de pain de ma bouche je mordais dans son index, la sensation de son doigt si vivant entre mes dents me revient presque entièrement, elle poussait un "aïe" convenu et nous continuions notre danse, l'une mâchait, l'autre ouvrait la bouche, ma mère tendait faiblement son bras et raclait la poêle avec le bout de pain libanais.

*

Il restait de la soupe à l'oignon d'hier mais je commençais à en avoir marre alors je l'ai chauffé sans conviction et je ne l'ai finalement pas bu. Je me suis coupé une tomate, j'ai mangé des olives vertes dénoyautées, trois cornichons, du pain libanais et du fromage, une pêche et un bout de banane.
en revenant du cinéma j'avais vraiment très faim, à midi je n'avais avalé qu'un sandwich tomates-jambon-fromage,les tranches de pain de mie dans lesquelles les ingrédients étaient coincés étaient très blanches et très larges, je l'avais préparé et soigneusement emballé dans une feuille d'aluminium avant de me rendre en cours. avant le cinéma j'avais bu un cappuccino au Mcdonald et une canette de Coca Light achetée dans un distributeur pour le cinéma. j'étais comme toujours avec ma bande de copine, en attendant notre séance de cinéma nous consommions calmement nos boissons favorites en parlant du temps révolu, des qualités des gens du passé, des défauts de ceux du présent, des cadeaux qu'on offrait à la Saint-Valentin quand l'occasion se présentait d'avoir un amoureux au moment de cette fête.

*

Sur le chemin du retour je pensais aux choses que je ferais une fois chez moi, j'avais déjà très faim mais je ne voulais pas me ruer sur la nourriture comme à mon habitude, je tenais à avoir la patience d'attendre, prendre une douche serait une bonne façon de tuer un peu de temps avant de me mettre à table toute seule. je longeais les traiteurs et les boulangeries avec la ferme intention de, ce soir, manger des choses aussi savoureuses que celles qui se trouvaient dans les vitrines. en marchant j'écoutais "California girls" des Magnetic Fields, une chanson que j'imaginais faite pour de plus grandes villes, de plus grands espaces urbains, on devrait n'écouter que du Renan Luce ou des saloperies du genre dans les villes comme Courbevoie, des trucs sans vraie grandeur, sans vraie musique, avec des paroles omniprésentes.

*

Avant d'entrer dans la douche j'ai ingurgité en 3 bouchées une barre aux céréales et au chocolat noir tout en me déshabillant, je me suis souvenue du temps où ces barres ont commencé à exister, à l'époque j'étais assez jeune pour être au courant de toutes les nouveautés qui se faisaient en matière de biscuits pour le goûter, mon alimentation était majoritairement constituée de ces trucs-là. ce fût l'une des douches les plus rapides de ces dernières années, juste le temps d'éparpiller plusieurs liquides sur ma peau et mes cheveux, de rincer jusqu'à ce que le film graisseux des différents produits fasse place à une peau et des cheveux plus secs où la main a du mal à glisser. j'enroule le tout dans des serviettes et quand tout est bien sec j'enfile un bas de pyjama et un t-shirt informe taille 42 de chez H&M, j'en ai une petite collection qui me sert à la fois de sous-pull, de tenue pour dormir et pour le sport.

*

tout en m'habillant je parlais fort à Emile qui était dans l'autre pièce à jouer sur son ordinateur, je l'invite toujours à manger avec moi, il est l'une des seules personnes avec qui j'accepte de manger, on parle de sa journée, de ses copains et de livres. Personne ne l'écoute vraiment dans cette famille et j'aime m'occuper de lui comme j'aurais aimé qu'on s'occupe de moi, avec bienveillance et intérêt. Je lui demande s'il continue de lire le livre qu'il s'est récemment acheté, à savoir "Une situation légèrement délicate" de Mark Haddon, il me dit "oui", je lui demande à quelle page il en est en me souvenant que la dernière fois il en était à la 87ème. Quand il me répond "87" je le traite de connard et lui dis qu'il est finalement comme les autres, que c'est un scientifique et qu'il n'aime pas lire. Il me dit "je suis scientifique mais je lis aussi", je lui dis "non tu es comme les autres" et il s'énerve et j'aime ça.

*

je me fais cuire un oeuf au plat avec le souvenir d'un passage d'un livre récemment lu qui racontait comme quoi un oeuf au plat avec du beurre était la meilleure chose que l'on pouvait manger. j'avais vraiment très faim et les plaques chauffantes à induction de la cuisine me facilitaient le travail, elles chauffent presque immédiatement et respectent les faims les plus imprévues. il ne restait plus qu'un oeuf dans le frigo, ça me limitait dans mon désir d'en manger plus d'un, j'étais soulagée.

mardi 18 mars 2008

parfois je regardais à l'autre bout de la table pour voir comment les choses se présentaient, les adultes parlaient et comme par une magie qui me surprend toujours un peu ils en venaient à oublier leur assiette, mangeaient sans y penser et ne pensaient qu'à discuter, je trouvais ça très noble et beau, j'aurai voulu être à leur place et que quelqu'un m'observe, c'était un film de Rohmer. ces repas aux plats dépareillés, la discussion initiale qui finit toujours par se ramifier en une multitude de petites discussions indépendantes, je n'ai jamais connu scène où l'inconscience d'être heureux était aussi parfaite, j'aurai voulu y adhérer, être des leurs, comme à chaque fois.

*

pour le dessert on avait droit à une salade d'orange qui baignait dans son jus, j'ai dit à ma soeur "c'est bizarre de boire du jus d'orange à la cuillère", comme si c'était de la soupe. mais c'était bon, on sentait les vitamines couler dans nos corps. on a enchainé sur des tranches de gâteau saturées de chocolat mais pas aussi écoeurantes qu'un brownie, puis du café servit dans des verres en plastique aux parois pleines de buée. les enfants des couples étaient bien excités, je ne leurs trouvais aucun charme malgré leurs vêtements colorés et leurs visages réguliers d'anges, ils étaient profondément emmerdants, criaient et ne produisaient rien durant des années entières et pourtant on leur vouait un culte que les vieilles personnes méritent autant qu'eux. je tentais de les ignorer.
Nous sommes invités chez la femme qui héberge notre cousine libanaise le temps de ses études et qui repart un mois pour renouveler son visa. c'est le dimanche des rameaux, l'atmosphère est particulièrement familiale un peu partout, ça se ressent dans les vêtements qu'on porte, tous plus ou moins endimanchés sans le ridicule de notre enfance. les gens vont en famille chez les uns et les autres, il fait chaud et depuis quelques jours on peut remarquer que la nature exhale ses odeurs, sa transpiration, passer devant un buisson redevient émouvant. j'ai une heure pour me préparer, emile et myriam sont à l'église et ont pris la précaution de ne pas me réveiller. je peux boire mon café en silence, me laver avec le nouveau gel douche à la menthe, écouter david bowie assez fort pour partager ce moment avec les voisins. notre cousine nous a demandé de porter du rouge et du blanc, on n'en voyait pas la raison, à première vue on trouvait ça un peu puérile et dépassé pour son âge (22) mais on a su par la suite que c'était parce que c'était une partie des couleurs du drapeau libanais. Je porte une chemise blanche et un cardigan rouge en laine bouillie. javais juste espéré que la nana chez qui ont allait avait une bibliothèque intéréssante où j'aurai pu fouiner avec les yeux.

*

je me suis ennuyée toute la première heure, personne ne venait me parler et je ne mangeais rien. dans la bibliothèque on pouvait distinguer des livres de kundera, john irving, anna gavalda, "le meilleur des mondes" et d'autres écrivains que j'ai oublié. c'était une bibliothèque qui me faisait penser à celle des parents des enfants que je gardais, on y retrouvait les mêmes écrivains, peut-être les préférés des français. à côté il y avait la discothèque où une cinquantaine de cds ou un peu plus étaient serrés les uns contre les autres, il y avait beaucoup de variété française, olivia ruiz et tous ces gens à achever, un cd de miles davis, des compilations pour faire la fête, on sentait un léger désintérêt pour la musique.

ma cousine s'est levé pour mettre un cd, je ne sais pas si on lui avait demandé d'en mettre un spécialement mais elle a choisi un best of des Doors, j'ai passé cette première heure ennuyeuse à écouter les chansons, je les trouvais plus longues que d'habitude, je repensais à mon exposé de 3eme en cours de musique, mon nom y était marqué en très gros dessus, en y repensant j'ai eu un peu honte d'avoir fait preuve d'autant d'égocentrisme et puis finalement je me suis souvenue
que tout le monde craignait un peu dans ce collège.
j'avais eu 10/10, à une époque je pouvais exceller dans certain domaine.

on s'est retrouvé très tard à table, c'est un déjeuner informel où l'on mange ce que les femmes ont voulu cuisiner, des trucs libanais et des salades dans des assiettes cartonnées en forme de fleurs, on boit doucement du vin, du coca cola, de l'eau gazeuse ou plate dans des gobelets en plastique où nos noms sont écrits en français et en libanais. je n'ai pas beaucoup mangé, je trouvais la nourriture fade avec un de ces arrière-gout amer qui montre que l'harmonie des ingrédient n'a pas opérée. Seul le poulet au riz était bien délicieux, j'en ai repris 3 fois mais à chaque fois c'était un tout petit peu, c'est toujours un peu délicat de se resservir, c'est comparable à du sport.
Je parlais soit à ma soeur qui était à côté de moi soit au neveu de mon père qu'on a emmené avec nous en voiture, il est sympa, il fait un stage chez HSBC, c'est mon père qui l'a pistonné si on peut dire ça. Il m'a demandé ce que je faisais et ce que je voulais faire plus tard, j'ai répondu "éditrice ou écrivain", en fait ça dépend de mes humeurs, je commence toujours par un "je sais pas" parce que c'est vrai, l'avenir me semble toujours puer un peu, je ne me vois ni grande, ni heureuse ni plus épanouie que maintenant, je n'ose pas espérer mais j'espère vraiment faire et être comme je veux.

Puisqu'on parlait surtout du Liban autour de la table et bien je lui ai dit que si un jour j'écrivais un livre je voulais surtout pas qu'on parle de mes origines, parce que je sais comment les gens nous voient après, ils ramènent tout ce qu'on dit à notre pays, ils vont me parler du traumatisme de la guerre alors que je suis née en 1991 et à Paris. On m'invitera dans les émissions de France Inter où il passe de la musique du monde entre les émissions, ça va me faire chier et je voudrais plus écrire.

lundi 17 mars 2008

Après les cours les filles avaient décidé d'aller au cinéma voir l'Orphelinat, on finissait à 15h et la séance était vers 17h30, je peux dire qu'elles m'ont obligée à venir, je voulais vraiment pas voir ce film, je suis jamais attirée par les choses espagnoles et encore moins par les films fantastiques mais je n'avais rien d'autre à faire et aucune raison valable de leur fausser compagnie. On comptait s'asseoir quelque part et attendre l'heure de notre séance. Parfois j'ai l'impression qu'on est un peu comme la bande du drugstore sauf que ce serait la bande de l'UGC. On est tout le temps fourré là-bas à des heures pas possibles, soit toute seule soit en bande. De toute façon j'ai rarement mieux à faire que d'aller au cinéma, je ne vais pas en boîte, de plus en plus rarement à des concerts, je fais de moins en moins de shopping et le plus souvent il se limite à quelques livres à la Fnac, une chemise achetée dans une grande enseigne.On a bu des trucs pendant une heure, j'ai commencé par un smoothie chez Helixir, qui est un bar à smoothie et à soupe et qui propose "une nouvelle façon de consommer les fruits et les légumes", c'est plutôt coul. Le truc s'appelait Rouge Baiser, c'était une mixture à base de glace, de myrtilles, de jus de pommes et de tout un tas de fruits rouges mais j'avais lu un peu trop vite la carte alors je m'en souviens plus, j'étais déjà convaincue par le nom. La nana te le mixe devant toi, c'est trop beau, ça donne trop envie et le truc était délicieux, je sentais les petits grains de myrtilles entre mes dents comme dans les yahourts à la myrtille, ça me gênait pas. On s'est assise au Viagio et les filles sont allées se chercher des chocolats chauds trop petits et assez chers, Marie regrettait déjà alors elle est allée chez Helixir se prendre un smoothie à la mangue et à la banane que j'ai pu goûter et qui était à chialer, pendant ce temps Charlette et Cécilia sont allées au Virgin s'acheter des grandes feuilles de Canson pour leur TPE et j'engageais une conversation à propos des mecs de ma vie, elle aime bien parler de ça Marie, je crois que c'est l'idée qu'elle se fait d'une conversation.

*

Je voulais pas casser mon billet de 20€ mais j'avais envie et peut-être besoin d'un café, je suis allée au Mcdo, à la caisse le mec ressemblait à Renan Luce, je lui ai dit dans l'ordre "un Grand Café s'il vous plait", "euh...à emporter", "par contre je suis désolée j'ai que ça" en lui tendant mon billet. Le mec a dit que c'était pas grave et sa tête montrait bien que c'était vraiment pas grave. Il m'a fait mon café et il m'a rendu beaucoup de pièces de 10 centimes en me disant "je suis désolé pour les pièces". Je lui ai dit que c'était pas grave, tout le monde s'excusait et se pardonnait, c'était très bien.

samedi 15 mars 2008

*

Les cours avaient repris, ma besace préférée était pleine de cahiers, mon renoncement à travailler pouvait se remarquer par le nombre impressionnant de "feuilles volantes" qui dépassaient de partout, qui finissait par avoir les bords déglingués. Je ne prenais plus la peine de ramener certains classeurs, certains manuels, de coller les feuilles, de me soucier de la bonne tenue des cahiers et, chose encore plus grave et porteuse de sens : je n'apportais plus mon agenda. J'écrivais tout dans mon petit carnet normalement réservée à mes idées. Donc c'était la reprise des cours, ce n'était pas si douloureux que ça, nous sommes 20 dans la classe ce qui rend le choc moins rude et l'occasion d'avoir des ennemis plus faible que dans une classe de 35. Globalement je supportais tout le monde, on était finalement assez soudé et je ne cotôyais personne d'autres qu'eux dans le lycée car je ne descends jamais en récré, soit je reste dans la classe à discuter ou à lire le livre que j'ai ramené avec moi, soit je passe mon temps libre entre les couloirs et les toilettes.
Je remarquais de plus en plus souvent qu'aller à l'école c'était choisir de mener une vie d'ascète en quelque sorte. Accepter de ne pas manger pendant des heures, sentir son ventre se manifester, rester immobile, mâcher de déprimants chewing-gum papaye-menthol assise sur une chaise, s'échanger les paquets avec les copines, tenir son stylo, garder ses yeux ouverts, s'asseoir au foyer et déjeuner d'une part de tarte faite maison puis feuilleter des magazines en attendant la suite, être fatiguée le matin comme l'après-midi, sortir de l'établissement vers les 16h complètement lessivé comme on dit, manifester toujours le même contentement, puis accepter la pluie, enfiler son bonnet, sa capuche, ouvrir son parapluie, ou mettre son écharpe sur la tête.

jeudi 13 mars 2008

Je rentre chez moi, je porte mon manteau gris et mon bonnet gris, ma besace grise. Il y a de la pluie sur mes lunettes, c'est pas très esthétique, la pluie aime bien les vitres, les gouttes peuvent être vues par tout le monde sur une vitre, dans tous les sens, de tous les côtés, ça doit leurs plaire, parfois en cours je regarde Julie et je lui dis "regarde, les vitres pleurent" et on rigole de mon simili-lyrisme.

*

Je vois des gens rentrer chez eux, ils ouvrent des portes et des portails, les referment derrière eux, s'enferment chez eux, ont des badges et des trousseaux de clé imposants avec des nounours miniatures accrochés dessus. Si vous leurs demandiez pourquoi ils accrochent d'aussi gros portes-clés ils vous répondront que c'est pour les retrouver plus facilement, car les clés c'est lourd et ça a la sale manie de sombrer au fond des sacs. Ces gens sont à première vue accessibles, donnent l'illusion qu'on peut commencer par dire "sale temps n'est-ce pas?" pour les aborder, on peut les voir de très près, parfois même leurs attribuer quelques défauts, d'abord distinguer la marque de leurs chaussures et puis celle de leur sac ou de leur manteau. Je pense ne pas mentir en disant que dans les rues se distinguent deux sortes de personnes : celles qui désirent être dérangées et qui parfois ne sortent que pour ça et celles qui sont ici malgré elles, parce qu'elles ne peuvent pas travailler à domicile ou être gardien d'immeuble, il faut encore qu'elles sortent, qu'elles enfilent des manteaux sombres et qu'elles fassent plusieurs tours avec leurs écharpes autour de leurs cous chauds et endoloris, qu'elles sentent l'odeur du café leur revenir quand elles respirent la bouche cachée dedans, les restes de biscottes entre les dents, les yeux particulièrement ouverts, la forte acuité visuelle et auditive des matins où l'on a mal dormi.
Je me souviens d'E. qui m'avait fait écouté chez lui "tonight we fly" du groupe the divine comedy, ses enceintes étaient grosses et en mesure de faire trembler la table en bois sur laquelle elles étaient posées. Il me traduisait les paroles par dessus la musique, je me souviens encore du délicieux décalage qu'il y avait entre la voix mélodieuse et aérienne de Neil Hannon et la voix monocorde et grave d'E., concentré, qui m'en révélait toujours un peu plus. On avait passé l'après-midi ensemble, un de ces après-midi que je passe avec des gens que je connais à peine et que je n'arriverais jamais à oublier parfaitement. Ces souvenirs me font, dans une certaine mesure, toujours un peu mal. Parfois on devrait nous accorder une fonction nettoyage de disque et défragmentation, on serait alors plus léger et souriant. J'ai écouté la musique très fort, j'ai fait ça pendant une heure, de toute façon c'était maintenant où jamais, il n'y avait personne à la maison et il fallait que j'en profite, une fois ma soeur ou mon père rentrés j'allais devoir baisser le son et passer à une autre occupation plus silencieuse, voire silencieuse tout court.

*

Je me disais qu'un jour j'allais amèrement et violemment regretter d'avoir quitté Baptiste, pour l'instant ça allait, j'éprouvais juste une plus grande sympathie pour lui qu'il y a 6 mois mais ça ne me gênait pas trop de me dire que tout ça ne m'appartenait plus tellement. Quand ce jour arrivera j'imagine que je n'entreprendrais rien.

*

Il était venu dans le lit de ma soeur pour regarder les gens dans la rue, leur "médiocritesse" comme il disait puis finalement il s'est endormi, en slip et débardeur, je l'ai laissé faire, je l'ai laissé se glisser dans la couverture et perdre conscience pendant que je travaillais studieusement sur mon bureau blanc. Il s'est réveillé environ 2 heures après, il bougeait un peu, il bougeait de façon consciente. Ses joues étaient roses et ça me faisait penser à un tableau de Toulouse-Lautrec avec deux hommes qui dorment confortablement dans un lit et que j'avais acheté en carte postale au Musée d'Orsay parce que cette peinture m'apaisait et me réconfortait. Je lui ai dit qu'il pouvait se rendormir et prendre son temps et que la vie était belle. J'ai mis mon CD de Ziggy Stardust, je voulais l'imprégner de bonne musique dans son sommeil comme dans "Le meilleur des mondes". je faisais des aller-retour dans l'appartement, je sortais de la douche, j'étais bien propre. Il a commencé à retenir la mélodie et la structure de "Starman", il pouvait la distinguer des autres et il lui mettait 5/5.

*

je lui ai dit que s'il voulait je pouvais lui filer un best of de David Bowie qu'il pourra écouter quand il le désire dans sa chambre, il y tenait pas tellement, il pensait qu'à "Starman" et il s'était empressé de la téléchargé sur Limewire, ça lui suffisait, il n'avait pas la curiosité de jeter un oeil au reste. On a quand même écouté le best of sur son ordinateur, je lui ai dit "ça va pas du tout ce son, viens on va l'écouter au salon". Au salon on a une belle chaine hi-fi qui lit les mp3, les dvds et les clés USB, elle est super classe avec un son qui te fait redécouvrir n'importe quelle chanson même celle que tu connais le mieux, et personne ne l'utilise j'ai l'impression. David Bowie c'était parfait, ces chansons explosent toujours au bout d'un moment, la montée dramatique est progressive. Arrivé au point culminant, on atteint quelque chose d'assez proche de l'idée que je me fais de la perfection. Cest le climax, le dénouement, celui qui te dit tout sur la vie et la façon dont les larmes montent vers le visage. Emile pensait encore et toujours à "Starman", j'ai dû lui demander de s'asseoir et d'écouter au lieu de danser, je voulais qu'il note sur 5 les chansons, qu'il cherche au fond de lui si finalement celle-ci n'était pas mieux que "Starman". Ca a atteint les 4,5/5, c'était un bon début. J'étais assise par terre au niveau de la chaîne et lui il était debout devant le canapé, il se regardait danser dans le reflet de la vitre, avec la nuit il pouvait bien se voir. Parfois on s'amusait à imiter un chef d'orchestre quand il y avait des violons, ou alors on faisait la batterie ou la guitare, quoi qu'il en soit nous faisions de grands gestes avec nos bras.
J'ai cherché et retrouvé une ancienne compilation qu'on avait faite avec mon ancien petit copain Baptiste, il y avait un petit tas de chansons qui à l'écoute appuyaient là où ça fait mal, un peu comme le jeu de société Doctor Maboule, ça frappait sur des points sensibles, ça allumait des diodes rouges, c'était à la fois extrêmement jouissif et triste à en pleurer, je me suis sentie ridicule et j'ai regretté des choses. En 16 ans et des miettes je me souviens avoir rencontré des gens super bien, talentueux et qui m'aurait grave amélioré la vie si j'avais seulement pu les retenir. En fait on se rend compte que tout le monde part et on croit que personne ne pense à nous pendant que nous on pense à eux dans notre chambre, j'aimerais me dire que c'est faux, que c'est tout sauf vrai. Après l'écoute j'ai failli envoyer un mail à Baptiste mais ça aurait été comme un mini-suicide.

*

J'avais veillé jusqu'à environ 4 heures du matin, j'avais regardé un film et discuté sur internet, mon portable était trop loin de moi et j'avais eu la flemme de mettre le réveil, je me faisais confiance pour me lever avant midi mais précisement le contraire s'est produit et je n'ai repris conscience qu'à 14h10. Je m'étais promis de sortir tous les jours de chez moi, je supporte de plus en plus difficilement de rester 24 heures sans sentir le ciel au dessus de moi, le léger tremblement de l'air qui rappelle l'infinie étendue des villes qui donnent l'air de se prolonger jusqu'en Australie. j'avais pour projet d'aller voir John John dans un petit cinéma pas loin des Champs-Elysées. Emile passait une bonne partie de ses après-midi en bas de l'immeuble avec des garçons plus petits que lui, il prenait sa douche, enfilait ses Nike et descendait jouer à des trucs qui demande pas de matériel particulier. C'était la vraie vie, les petites amitiés, les conflits qu'on imagine et l'énorme goûter où l'on ne compte pas les calories.
Il est remonté, il voulait aller au cinéma. En ce moment il aime sortir le soir, il a besoin de se défouler et je ne peux que le comprendre. Pour ma séance sur les Champs c'était trop tard, je lui ai proposé d'aller voir avec moi "l'Heure d'été" et que s'il voulait on pourrait aller au Mcdo juste après mais qu'il fallait qu'il demande à ma mère de l'argent pour financer tout ça, pour financer la sortie du siècle. Elle lui a filé un billet de 20€ et deux tickets de train, on a enfilé nos manteaux puis on est parti.

*

On marchait lentement, on pensait qu'on avait le temps, il me parlait d'une discussion sur le suicide qu'il avait eu avec un mec. Le mec disait qu'il voulait pas vivre vieux et qu'il se suiciderait à 90 ans, mon frère lui a conseillé pour son suicide de ne pas faire de sport et de manger tous les jours du Mcdo. J'ai d'abord pensé que 90 ans c'était déjà vivre vieux et puis ensuite que mon petit frère se faisait une image un peu trop coul de la vie mais que ça allait passer, comme un peu tout, c'était la prochaine étape. On a aussi eu le temps de parler de religion, je lui ai dit qu'intelligent comme il est il tarderait pas à bientôt être incroyant mais il a dit qu'il avait peur de l'être, j'ai pensé que Dieu était comme un chien, il sentait tout, il sentait quand quelqu'un avait peur, ça va pas le faire. On est passé devant le bus histoire de voir s'il allait peut-être arriver mais il venait dans trop longtemps. On a longé le marchand de fruits, les boulangeries, les traiteurs et les banques, les petits commerces de proximité où la survie des propriétaires semble en jeux chaque jour, le train arrivait et on était encore loin, on a couru comme des dératés, ça nous a fait du bien, on était essoufflé.

*

Le film était très bien, discret et intelligent, parfois je me penchais vers Emile pour lui demander s'il comprenait tout. Quand ça parlait de la mort je flippais un peu pour lui, un moment je l'ai vu prier en plein milieu du film, je l'ai grondé, j'ai soupiré, je lui ai dit "je vais le dire à maman", j'étais désemparé, personne ne s'occupait de lui et il commençait à devenir parano, à s'inventer des histoires de mort et de superstition dans sa tête seule.

*

Comme prévu on est allé au Mcdo, j'avais envie de le gronder mais ça m'est vite passé. Il a commandé tout seul comme un grand, sa tête dépasse le comptoir donc ça va. Il a pris un filet o'fish comme il restait plus que ça, une grande frite et un grand nestea. pendant ce temps je cherchais une table et je m'installais. J'étais un peu à l'étroit et j'avais deux conversations à suivre des deux côtés. Y'avait des meufs à ma gauche qui discutaient, elles parlaient de H&M et des hauts qu'elles avaient récemment achetés là-bas. puis y'en a une qui a dit "Là on va se faire un ptit film tranquillement, on va bien rigoler". J'aime bien les gens qui disent des trucs louches comme ça, j'ai sorti mon carnet de notes et j'ai noté sa phrase parce qu'elle était longue et que j'allais vraiment pas m'en souvenir, je pense qu'elles allaient voir "bienvenue chez les ch'tis". J'ai demandé à Emile la note qu'il mettrait sur 5 au film, il a répondu 3,5/5, c'était très coul parce que j'avais mis exactement la même note dans ma tête, je le trouvais mature parce que le film était un peu adulte. Quand je lui demandais ce qu'il aimait dans le film il répondait comme quoi il aimait bien la gueule de certains personnages et qu'il avait trouvé trop beau un vase qui a son importance dans l'histoire. Je lui ai expliqué certaines choses, je lui ai dit que ce film devait forcément le dépayser comparé à tous ces trucs de superhéros qu'il adore. Je lui ai expliqué la notion de fin ouverte parce que la fin du film l'avait complètement déconcerté, il comprenait pas qu'on puisse faire une fin qui ressemble autant à un début. J'ai porté son plateau jusqu'à la grande poubelle avec écrit MERCI dessus, à une époque je m'amusais à photographier tous les "merci" que je voyais dans la rue et les lieux publics, j'en avais trouvé un petit paquet.

*
On a pris le train, on s'est arrêté devant une machine à café pour prendre un chocolat chaud pour lui et un café au lait pour moi, on avait pas capté que la machine rendait pas la monnaie et on avait 40 centimes de crédit, on a repris un chocolat chaud mais il nous restait toujours du crédit, ensuite on est parti pas très en colère, ça allait, peinard.
Lorsque je me suis réveillé j'entendais ma mère dans la cuisine, elle devait pourtant être en train de faire les élections et m'avait dit qu'elle travaillerait de 7h30 à 8h du soir avec une pause pour déjeuner, j'en ai déduit qu'elle en était à sa pause et qu'il devait être bien tard. Je me suis levée, j'ai lavé mon visage et j'ai fait un pipi, je suis allée boire mon café dans lequel j'ai trempé entre 7 et 8 petits beurre, je ne me souviens pas avoir allumé la radio mais je crois que je l'ai quand même allumée.
Après j'ai trainé, mon père devait nous emmener au restaurant mais il était déjà 13h30 et j'avais rendez-vous à 15h avec une fille de ma classe pour travailler notre TPE. Quand mon père est revenu il était bientôt 14h et moi j'étais sous la douche, en train de me frictionner avec un gel douche aux fruits rouges un peu dégueulasse. Le temps que je sorte, ma soeur lui avait dit que je ne pouvais pas venir. J'ai enfilé une chemise blanche à petits quadrillages bleu ciel, un jean et les pantoufles grises que j'ai offert à ma mère pour Noël et qui font des gros pieds bien au chaud. J'ai dû déjeuner vers les 15h, un petit plat de pâtes bizarres, du pepsi et de la viande. J'attendais le coup de fil d'Alexia, elle m'avait dit "on s'appelle vers les 15h", par "on" j'entendais elle, moi je ne voulais pas prendre le risque de lui dire "salut ça va? bon alors pour le rendez-vous..." je faisais comme elle voulait. Elle m'envoit un sms vers 15h20 pour me dire si je pouvais être au Mcdo des Sablons vers 18h avec toutes mes affaires pour le TPE, j'avais rien à ramener, tout était sur notre blog. Je n'ai pas voulu prendre un deuxième café même si j'en avais envie, il ne fallait pas que je sois trop excitée sinon j'allais encore dormir très tard, je savais quand même que c'était inévitable mais je devais limiter les dégâts. J'ai travaillé en attendant le rendez-vous. 30 minutes avant de partir j'ai lissé mes cheveux et enfilé des baskets blanches, j'ai mis un livre, mes clés, des gants et un dvd pour faire genre j'ai ramené un truc.

*

Dehors il faisait froid, il y avait un peu de tout, un peu de vent, un peu de pluie, un peu de soleil, un peu de nuages gris et d'autres blancs. J'ai pris le train et le métro, je n'ai pas trop tenu compte des gens qui étaient silencieusement postés autour de moi, je lisais et je me mouchais, je me mouchais et je lisais, j'ai envoyé un sms à Alexia pour lui dire que j'allais être en retard de 10 minutes, que j'avais oublié qu'il n'y avait pas de bus le dimanche alors que c'était juste mon train qui était arrivé en avance et qui part toujours sans attendre de repartir à la bonne heure mais le lui expliquer aurait été trop long, j'étais désolée d'être en retard. Je ne me suis pas pressée, je n'ai pas essayé de rattraper un métro que j'aurai pu avoir, je n'aime pas être essouflée dans le métro et les regards des autres.
Je ne sais pas ce que j'étais en train de faire quand ma soeur est venue timidement à moi pour me dire qu'une collègue et amie de ma mère avait un cancer, en fait je me revois très précisement en train d'hésiter entre plusieurs variétés de thé, je revois mon corps au fond de la cuisine. On en avait déjà parlé et je sais qu'elle évitait à tout prix ça, cette façon de faire du malheur des autres un genre de potins, mais je ne pouvais m'empêcher d'être énervée à sa façon de me l'annoncer et d'en rajouter, avec cette petite jouissance au fond de sa voix, et moi qui m'immobilise totalement devant elle. Je n'ai pas supporté la nouvelle et la façon qu'elle avait choisie pour me le dire, je me souviens avoir sentie une tristesse insoutenable s'infuser en moi et qui semblait n'être rien d'autre que ce que je ressens à longueur de journée et sans interruption mais à un degré un peu plus élévé. J'ai rangé la boîte de thé et je suis partie sans rien claquer mais je voulais qu'elle comprenne que j'étais énervée et que rien n'allait.
Dans la salle un mec me demande un mouchoir, c'était marrant parce que justement la grande question mentale de cette semaine pour moi c'était "peut-on demander un mouchoir à un inconnu dans la rue?", Je sais que je me sens souvent incapable de demander quoi que ce soit à n'importe qui dans la rue, parfois pour une indication ça s'impose mais tous les gens me font peur et quand je leurs parle j'ai comme la mauvaise impression de rentrer par effraction chez eux, de leurs en demander trop, je me sens obligée d'imaginer leur famille et leur vie et tous ces trucs que chacun aime et possède, et aussi ce qui me gêne c'est de ne pas pouvoir les toucher plus que ça, j'aimerais bouleverser tout le monde, bouleverser les gens en demandant l'heure, j'aimerais passer avant tout, que tout le monde soit d'accord avec mes choix, être quelque chose comme la meilleure et la plus aimée. On a beau bouger dans tous les sens, ce qu'on fait n'a d'impact que sur un périmètre qui dépasse rarement celui de notre chambre. Mon impuissance ou ma force trop faible me déprime.

*

Le film était bien, mentalement je lui donnais 3,5/5, c'était donc une bonne soirée et maintenant je comptais rentrer chez moi. J'aurai pu prendre un café quelque part ou n'importe quel truc qui tienne dans un verre et observer les gens, être fière de ma solitude et la considérer comme une forme de sagesse mais je n'en avais pas le courage, je voulais retrouver mon lit, lire les nouvelles sur internet, regarder un film et boire toutes sortes de trucs chauds et froids chez moi. Sur le trajet qui mène de la gare SNCF à ma résidence j'ai pensé à la pollution lumineuse et à un site que j'avais découvert et qui montrait des vidéos d'activistes qui sabotaient les enseignes lumineuses des magasins en expliquant que la pub continuait même la nuit à l'heure où les magasins sont fermés, après un homme est passé devant moi et ça m'a fait réfléchir à une chose différente, je me suis demandé ce que pouvait éprouver un garçon qui rentre chez lui la nuit, s'il prenait en compte la possibilité d'une agression comme nous les filles nous pensons constamment à celle d'un viol.

*

Une fois chez moi j'ai nettoyé ma peau et enfilé un bas de pyjama, un débardeur et un sweat noir informe Go Sport qui a le mérite d'être très doux à l'intérieur, mon frère et moi avons échangé de chambre pour la durée des vacances car il me fallait du calme pour travailler et faire mes petites affaires alors que lui voulait passer ses nuits à regarder des saisons entières de séries avec ma soeur. Il a donc pris mon lit et moi le sien, embarquant avec moi quelques dvds, un bloc notes, un stylo et quelques livres qui restaient étalés toute la journée entre la moquette et la table de nuit. Chaque soir en me glissant à l'intérieur c'était un rituel que j'accomplissais, qui me rendait heureuse et que je savais temporaire. J'avais toujours désiré une chambre à moi et depuis ma naissance je ne l'avais jamais eu, j'étais condamnée à partager 4 murs et une fenêtre avec ma soeur et aujourd'hui je réalisais que c'est cela qui me manquait le plus, le mode de vie que j'aime ne pouvait s'accomplir qu'ici, dans le silence et entre les objets achetés avec mon argent. Ma soeur aime beaucoup regarder la télé alors que moi je commence à la délaisser progressivement, depuis quelques mois cela créer des conflits, avant nous avions l'habitude de regarder les mêmes émissions en même temps. Je peux dire que toutes mes occupations se font en silence si on met de côté l'écoute des albums que j'achète, mais j'ai pris l'habitude de ne les écouter que tôt le matin où à certaines heures de l'après-midi quand la maison est vide, dans ces moments je m'autorise à hausser le son jusqu'à ce qu'il atteigne la pièce la plus lointaine de l'appartement.
J'ai toujours imaginé et voulu que mes choix musicaux imprègnent inconsciemment la jeunesse de ma soeur, qu'elles se remémorent avec nostalgie des écoutes répétées de certains groupes, je sais qu'elle aimait les Libertines, Adam Green et plus récemment Belle & Sebastian. Quelque part je pouvais être fière de moi.

J'ai enfilé un ancien et long manteau noir, assez doux au toucher, presque comme du velours, il a l'avantage d'avoir des poches assez grandes pour que j'y fasse glisser un livre de poche et ainsi délester d'une chose mon étroit sac gris. J'avais enroulé plusieurs fois une écharpe autour de mon cou, je crois avoir laissé mes cheveux coincés dedans, elle était aussi noire et très bon marché, à ma demande ma mère m'avait enlevé les franches qui pendaient de part et d'autre de l'écharpe, ça faisait d'elle un objet unique, parfois j'y pensais.

*

Une fois arrivée devant le cinéma j'ai regardé sur l'écran s'il restait des places pour la séance, je n'étais pas tellement inquiète. En restant immobile quelques secondes j'ai pu entendre une fille qui n'arrêtait pas de dire "j'aimerais bien voir ce que ça donne" ou encore "j'ai pas vu ce que ça donne", ça me gênait pas, ça ne m'irritait pas non plus, c'était pas une expression si désagréable, j'ai pensé qu'il y avait pire et que je ne ressentais aucune haine envers cette nana là. J'ai pris les escalators, j'ai aperçu un homme qui devait être en train d'attendre quelqu'un ou quelque chose, il portait des lunettes comme moi, dans l'ensemble je le trouvais beau et il avait l'air seul, le temps d'une seconde j'ai eu envie de le prendre avec moi à ma séance, flirter gentiment avec lui, rentrer chez moi et regretter de n'avoir rien entrepris au niveau du rapprochement des corps, en clair je voulais qu'il se passe quelque chose dans ma vie. La séance finirait relativement tôt, on aurait eu le temps de se balader dans des endroits moches et de s'en moquer. Une fois de plus, ce qui m'arrachait le coeur c'était de laisser filer et s'enfuir tous ces hommes que j'ai croisé et que je savais fait pour moi, c'est souvent comme ça, ça peut m'arriver jusqu'à 5 fois dans une journée, à force on encaisse et on retourne à sa lecture en priant pour que la vérité y soit.
J'ai retiré ma place dans une borne d'achat, j'ai vu plein de monde entrer et sortir du cinéma, des familles et des couples bien sympathiques, le temps d'une minute j'étais vraiment contente, l'euphorie me montait aux joues à la vision de tous ces gens qui ont décidé plus ou moins en même temps de se divertir, d'oublier le travail et la télévision, de prendre la voiture et d'aller regarder un film sur un écran plus grand qu'eux les bras levés. Il y a des hauts et des bas mais en prend encore le temps d'aller au cinéma, on ne se lasse pas de voir des acteurs bouger, on aime les histoires folles, on aime la fiction parce que ce n'est pas la réalité et la réalité c'est un mot super flippant qui connote pour chacun des choses encore plus flippantes, c'est la panique.
J'ai téléchargé un logiciel qui me permet d'avoir des Post-it virtuel sur mon bureau, j'ai pensé que ça pouvait être pratique. Je suis toujours en train d'ouvrir des fichiers Word dans lesquels je note quelques idées ou des titres de livres à lire, de films à voir et puis je dois les enregistrer, donner des noms à ces documents de quelques lignes, cela commençait à lentement m'encombrer et parfois quand mon ordinateur buguait je perdais tout, j'essayais de me persuader que je ne perdais rien d'important alors que parfois ça l'était et je me promettais d'être plus prudente la prochaine fois. J'ai noté une série de choses à faire pour demain, pour aujourd'hui je l'ai déjà faite et ça a plutôt bien marcher. Je ne supprime pas les tâches accomplies, je ne fais que les barrer pour me donner l'impression que ça avance, que je fais quelque chose. Depuis un certain temps je commence à avoir très peur du temps gâché et j'ai besoin de ces listes, ce sont les seuls choses qui me semblent un peu rigides dans ma vie, sur lesquelles je peux m'appuyer, j'imagine que ce sont de fidèles compte-rendus de mes journées, et par accumulation, de ma vie. Demain j'aimerais trouver la force d'aller au musée et au cinéma. Ce sont toujours les premiers instants du réveil qui conditionnent le reste de ma journée. Si je me lève et que ma chambre est joliment éclairée par le soleil je serais alors motivée pour m'habiller et sortir, si le ciel est gris je reste chez moi, je passe ma journée à vérifier frénétiquement ma boîte mail, les commentaires de mes blogs, le forum que je fréquente. J'actualise les pages, je bois du café et du Coca Cola Light, je lis un livre de poche au fond de mon lit, parfois je jette un long regard par la fenêtre et je regrette d'être aussi paresseuse, d'être influencée par des choses qui ne veulent rien dire. Un ciel gris n'est porteur d'aucun sens, ne prédit rien. et quand 20h50 sonne, quand c'est le moment du film du soir, j'éteins les lumières de la chambre et je regarde un film à moi, plus ou moins simultanément avec les gens qui regardent la télé. J'ai une grande sympathie pour les films qui durent une heure trente voire moins. Le film se finit, c'est alors le moment de vivre mon insomnie, la journée a filé.

*

Le jour où j'ai su que j'avais envie d'écrire un recueil de nouvelles j'ai vraiment eu l'impression d'avoir résolu tous les grands problèmes de ma vie, le problème de mon bonheur et l'occupation de mon temps libre pour les années à venir. je marchais dans la rue, les mains dans les manches de mon manteau, l'idée se tricotait doucement, mon pas se faisait plus leste, les idées fusaient dans ma tête, je tentais de les retenir à l'aide de mot-clé, je m'imaginais empoigner un stylo et tout écrire, tout restituer, passer mes nuits à travailler égoïstement à mon bonheur sans jamais penser aux autres. Pleurer de joie à la relecture, ne plus jamais dormir, être définitivement contente et fière de moi.

*

Je regarde Fargo sur mon ordinateur, toutes les lumières sont éteintes pour ma concentration, Emile m'appelle et me demande de lui apporter du papier toilettes. Je lui dis qu'il y en a, j'ai l'image du rouleau à peine entamé d'il y a 10 minutes, il me dit que non il n'y en a pas, je lui dis de regarder autour de lui, parfois le rouleau est derrière nous près de la chasse d'eau et on ne le voit pas ou alors c'est trop tard. Il me dit qu'il n'y en a pas. Je me lève, sûrement en soupirant, j'en sors deux du placard et les positionnent sur l'espèce de tringle. Je lui dis que ça sent vraiment mauvais, il me répond que c'est parce qu'il vient de faire caca, je lui rétorque sans m'énerver, plutôt sur le ton qu'une personne prendrait pour donner un conseil, que quand c'est comme ça il doit fermer la porte. Je pars en fermant la porte et je retourne à mon film.

*
J'ai rendez-vous au restaurant avec mes copines pour l'anniversaire de Cécilia, nous sommes en plein dans les vacances de février, je redoute un peu les retrouvailles, cela va faire une semaine que je n'ai pas vu la bande mise à part Julie que j'ai vu vendredi au cinéma, il y aura une légère intimidation vers le début puis peu à peu nous retrouverons nos sujets de conversation favoris, les diverses choses que nous avons en commun. Je porte un pantalon pattes d'éléphant marron, une marinière, des chaussures à talons compensées marrons, un long manteau gris, une écharpe grise et un petit sac gris trop étroit pour accueillir tous mes effets personnels. J'ai eu la brève inquiétude de la dysharmonie de ma tenue, du gris qui n'allait pas avec le marron mais quand je porte le manteau fermé le marron se fait oublier et quand je l'enlève c'est alors le gris qui disparaît. Quand je suis en vacances je peux porter toute une semaine la même tenue car je vois rarement du monde et rarement les mêmes personnes et que certaines tenues sont à mes yeux tellement belles et me mettent si bien en valeur que j'ai envie qu'un maximum de gens me voient avec dans la rue, dans le métro et même au cinéma quand les lumières sont allumées tout au début, même avant les bandes-annonces. Du fait de mon sac trop petit je porte le cadeau pour Cécilia dans mes mains, dans un petit sac Fnac. Dans le train qui me transportait jusqu'à la Défense j'ai eu une grande envie de me moucher et rien pour le faire, c'était vraiment la misère, j'en étais à un point où renifler ne servait plus à rien. Depuis près d'un mois ma mère oublie d'acheter des paquets de mouchoirs de poche, j'avais toujours l'habitude d'en glisser un dans mon sac avant de partir au lycée ou n'importe où, parfois ils s'accumulaient et je pouvais en avoir jusqu'à trois dans mon sac. Je rêvais alors de me moucher et la lecture qui contraignait ma tête à se baisser pour lire n'arrangeait rien. Une fois sortie du train j'avais la violente impression que tout le monde me fixait. Je suis allée dans des toilettes arracher un bout de papier toilettes rêche, à ce stade là même le papier d'un quelconque magazine gratuit aurait fait l'affaire. J'étais en avance pour le rendez-vous de 19h30. J'avais plus ou moins calculé cette avance, ça me laissait le temps d'acheter un DVD qu'il me fallait pour mon TPE, j'avais un peu plus de 10 minutes, je savais plus ou moins où se trouvait le DVD, je me faisais confiance.
Comme le cadeau de Cécilia se trouvait dans un sac Fnac et que je voulais pas avoir d'embrouilles avec le vigile j'ai sorti le paquet du sac que j'ai enfoncé dans mon petit sac gris et j'ai tenu le paquet à la main. Le truc me coûtat 26,32€, la fille glissat dans le sac deux bons de 3€ chacun qu'ils offrent pour tout achat d'un CD ou d'un DVD. Au début j'étais partie pour acheter le DVD sur internet parce qu'il ne coûtait que 20€ mais avec ces chèques j'ai eu la bonne surprise de me rendre compte que ça revenait au même, j'avais eu de la chance.

*

Les filles étaient là, devant le Viagio, un restaurant du Dôme que je n'ai pas encore essayé, une sorte de fast-food de pâtes, sur leur site internet il y avait marqué "l'alternative à l'hamburger" et j'avais envie d'y croire. J'avais bien rappelé aux filles que comme c'était l'anniversaire de Cécilia on lui paiera sa part, j'aimais bien respecter et faire respecter ce genre de principe, j'avais l'impression d'être ma mère ou n'importe quelle autre femme sérieuse. On a fait directement la queue, puis on s'est aperçu qu'il nous fallait du temps. Julie nous a distribué des petits menus de poche et nous nous sommes mises sur le côté pour les déchiffrer et assimiler toute l'étendue des choix. Je suis toujours un peux excitée à l'idée de faire ce que je veux de mon argent, l'idée de pouvoir m'offrir la vraie glace italienne à 3 boules ou le menu maxi salade, cette liberté est réjouissante. A une époque je ne pensais qu'à ça, qu'à la réalisation concrète et progressive de mon indépendance et maintenant que j'y suis je pense à autre chose, je pense à mon futur studio et à sa décoration. Nous sommes retourné dans la queue, j'ai commandé le Menu Salade avec un Coca Light et la salade Caesar, c'est la seule que je connais bien, je sais qu'il y a du poulet dedans, je la visualise dans ma tête. La fille sort un nouveau plateau, se retourne, les aliments sont répartis un peu partout derrière elle, elle remplit le Coca, accomplit les choses consciencieusement et pas du tout rapidement. J'ai aussi commandé un Cappuccino, elle m'a demandé à deux reprises si je voulais le prendre tout de suite, la première fois je lui ai dit "eeuuh oui" parce que j'avais la flemme de revenir, la deuxième fois j'ai su que je devais bien répondre pour qu'elle me lâche et j'ai dit "non". Je me suis imaginé manger ma salade et finir mon Coca, ça mettrait un peu plus de 15 minutes et le cappuccino aurait refroidi, finalement j'avais bien fait de l'écouter. On s'était arrangé avec Charlette pour qu'elle paye le menu de Cécilia et ensuite on se débrouillerait pour diviser l'addition par trois. Ca revenait à environ 2 euros chacune. On s'est assise avec nos plateaux, prêtes à manger, j'avais faim, mon dernier repas remontait à environ 5 heures. J'ai chuchoté à Julie qu'on pouvait lui donner maintenant les cadeaux, elle n'était pas contre alors j'ai sorti le petit paquet emballé dans du papier kraft. Je n'avais que ça chez moi, Noël ayant liquidé les quelques pans de papier cadeaux qu'ils nous restaient, et puis on a pris l'habitude d'emballer les cadeaux dans le magasin où on les avaient achetés mais à la Fnac j'avais complètement oublié de demander une pochette cadeau. En temps normal le papier kraft me servait à emballer les objets à expédier que j'avais vendus sur Ebay, mon père m'en ramenait des rouleaux entier de son travail, je ne savais pas où les mettre alors je pliais la grande feuille de kraft et je la glissais sous mon lit, à force elle devenait très chiffonnée mais je me persuadais que ça devait avoir son charme. Sur le paquet j'avais marqué au stylo noir "Bon Anniversaire meuf", les mots les uns au dessous des autres. En l'ouvrant elle ne l'a même pas vu et j'ai dû le lui faire remarquer, ça perdait de sa spontanéité. C'était deux livres, Extension du domaine de la lutte et le recueil de poèmes La poursuite du bonheur de Michel Houellebecq. Elle n'étais pas très démonstrative, à sa place j'aurai déjà été surprise à l'idée que l'on m'offre des cadeaux et puis j'aime tellement qu'on m'offre des livres même si je crois qu'on m'en a jamais offert de ma life ou alors je les demandais. Elle m'a fait la bise, m'a attiré vers elle en me disant "viens par là" et puis voilà, c'était fini. * Vers 19h je suis allée au cinéma, j'avais passé la journée dans la chambre de mon frère, à travailler mon TPE et à me faire des cafés, à trainer dans la maison et à m'éclater des boutons, j'avais aussi pris une douche, coiffé mes cheveux, remarqué que je n'écoutais plus de musique depuis quelques temps mais ça ne m'inquiétais pas trop comme je compensais par beaucoup de lectures et de visionnage de film, j'ai toujours tenu à rester culturellement active, je vois pas ça comme une course, plutôt comme la seule vraie preuve d'évolution, de changement.

A midi j'avais mangé du hâchis parmentier Picard un peu dégueulasse comparé à d'autres trucs et un yahourt au caramel qui m'avait écoeuré parce que j'en pouvais plus, que j'avais déjà trop mangé. (en cours)